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Lettre à Alain Juppé et François Fillon. Questions citoyennes.
La France, le peuple et la bombe atomique


Publié le 22 novembre 2016

Saintes, le 21 novembre 2016

Messieurs les candidats,

Vous briguez tous les deux la Présidence de la République, c’est-à-dire l’accès au « bouton nucléaire » qui pourrait faire de vous, si vous étiez élu et si les circonstances s’y prêtaient, un « serial killer » instantané, un assassin de masse, un criminel contre l’humanité. Au même titre que MM. Poutine, Trump ou Kim Jung-Un, pour ne citer que trois des neuf individus qui disposent du sort de l’humanité.

Certes, on peut imaginer que vous ne souhaitez ni l’un ni l’autre être placé devant un tel dilemme. On peut aussi espérer que vous n’en aurez jamais l’occasion. Mais vous n’ignorez pas que les fonctions de chef des armées et de presse-bouton atomique font partie des charges suprêmes du chef de l’Etat, même si la Constitution ne souffle mot de la seconde fonction, qui est en quelque sorte le « point aveugle » de notre supposée démocratie et le secret-défense de toutes les élections depuis des décennies. La transmission du code nucléaire et de ses procédures d’emploi sera d’ailleurs le seul passage de témoin entre l’actuel occupant de l’Elysée et son successeur. Sacré phallus.

Vous ne pouvez ignorer, et les Français doivent le savoir, que les 300 « têtes nucléaires », autrement dit les 300 bombes H de la France, peuvent faire, à l’aune de la bombe A d’Hiroshima, près d’un milliard de morts. Telle est selon nos stratèges la « stricte suffisance » meurtrière que notre pays requiert pour assurer la défense de ses « intérêts vitaux ». Certes, la plupart des autres pays (184 sur 193 Etats membres de l’ONU) n’en ont pas besoin. Mais nous, si. C’est sans doute cela « l’exception française ».

Le fait est que, grâce à la dissuasion nucléaire, nous tenons en respect les terroristes qui menacent notre existence et nos valeurs. Grâce à elle, les massacres de Charlie-Hebdo, portant atteinte à la liberté d’expression, du Bataclan, portant atteinte à la musique, aux œuvres de l’esprit et à notre art de vivre, de Nice, portant atteinte à notre Fête nationale, n’ont pas eu lieu. Les attentats qu’on nous promet n’auront pas lieu non plus. Autant de valeurs, autant de vies épargnées grâce à nos bombes atomiques. Celles des Etats-Unis leur ont pareillement évité, c’est connu, le 11 septembre 2001.

De même, si nous devions être attaqués par une puissance nucléaire, nos bombes sauraient l’en dissuader. Il est vrai que le Président Giscard d’Estaing avoue dans ses mémoires s’être juré, en pleine Guerre froide, de ne jamais les utiliser en premier, même comme ultime avertissement, de peur de provoquer la destruction de la France, lui préférant l’occupation par les Rouges. Qui l’en blâmerait ? Notre pays s’est relevé de bien des invasions ; il ne survivrait pas à une destruction et un massacre mutuellement assurés.

Mais qu’importe, le « concept de dissuasion » résiste à tout. C’est notre ligne Maginot à 300 milliards d’Euros, indispensable « protection » qu’on ne cesse de moderniser puisque, malgré sa stricte suffisance, elle est toujours insuffisante.

Qu’importe encore si notre « concept de dissuasion » et notre « prolifération verticale » encouragent la « prolifération horizontale » des autres acteurs étatiques et invitent les terroristes à mettre la main sur une ou plusieurs bombes atomiques, qu’ils pourront nous livrer à peu de frais par porte-conteneurs. Après tout, passer de quelques dizaines ou quelques centaines de morts à des millions, c’est juste une question d’échelle. Plus le massacre est horrible, plus il fait peur, plus la terreur est grande. Notre « force de dissuasion » est basée là-dessus. Les terroristes l’ont bien compris et leurs actions s’inspirent de notre « concept ». C’est fâcheux mais la France, surtout celle des lobbies militaro-industriels, est très attachée à ses « concepts », fussent-ils incohérents, absurdes, dangereux, criminels et anticonstitutionnels.

Je n’aurai pas le mauvais goût d’insister sur les nombreuses raisons qui devraient pousser la France à renoncer à ses bombes, de préférence bien sûr en amenant les autres Etats nucléaires à en faire autant. Tout est dit dans l’Appel à référendum sur la participation de la France à l’abolition des armes nucléaires ci-joint, que je vous invite à signer, s’il se peut.

En tout état de cause, les Français qui se reconnaissent dans les valeurs républicaines : liberté, égalité, fraternité, lesquelles ne sont ni de droite, ni du centre, ni de gauche, mais appartiennent à tous les citoyens, ont le droit de savoir quelle position et quelle posture chacun de vous assume sur cette question vitale. Vous avez le devoir de les leur faire connaître. S’ils doivent voter pour l’un de vous, que ce soit en connaissance de cause, pour le plus sage ou le moins insensé des deux.

L’un de vous, faut-il le rappeler, avait cosigné avec Michel Rocard, Alain Richard et le général Bernard Norlain une tribune parue dans Le Monde du 14 octobre 2009 sous le titre « Pour un désarmement nucléaire mondial, seule réponse à la prolifération anarchique ». Elle concluait ainsi :

« Au nom de leur expérience de ce sujet, les signataires de la présente déclaration expriment le voeu que la France affirme résolument son engagement pour le succès (du) processus de désarmement (nucléaire) et sa résolution d’en tirer les conséquences le moment venu quant à ses propres capacités, en ouvrant les débats nécessaires dans ses institutions démocratiques et en préparant activement les échéances prochaines de négociation, en premier lieu la préparation de la conférence quinquennale d’examen du traité de non-prolifération nucléaire de 2010. »

Aujourd’hui, contrairement à 2010, les choses ont grandement progressé. L’Assemblée générale de l’Onu réunie à New York s’apprête à décider, début décembre 2016, de convoquer en 2017 une conférence chargée de négocier un « instrument juridiquement contraignant », c’est-à-dire un traité, visant à interdire et éliminer complètement les armes nucléaires. La résolution L41 qui propose cette décision a recueilli le 27 octobre 2016, au sein de la Commission « désarmement » de l’Onu, l’approbation de 123 pays, contre 38 votes négatifs. La France a voté contre avec 4 des Etats nucléaires (Etats-Unis, Russie, Royaume-Uni et Israël), tandis que 3 autres (Chine, Inde, Pakistan) s’abstenaient et que la Corée du Nord votait pour. Pyongyang donnant des leçons d’humanisme à la « patrie des droits de l’Homme », voilà le plaisant résultat de notre politique !

Les questions que nous souhaitons vous poser sont au nombre de quatre :

1. Voulez-vous que la France négocie et ratifie avec l’ensemble des Etats concernés un traité d’interdiction et d’élimination complète des armes nucléaires, sous un contrôle mutuel et international strict et efficace ?

2. Voulez-vous qu’elle approuve, lors du prochain vote à New York, l’ouverture en 2017, sous l’égide de l’ONU, de négociations ayant cet objectif ?

3. Vous engagez-vous, si vous êtes élu Président de la République, à soumettre par référendum la première question au peuple français, dans les meilleurs délais suivant votre élection ?

4. Quel que soit le résultat des primaires, encouragerez-vous les députés et sénateurs de la droite et du centre à signer la proposition de loi référendaire sur la participation de la France à l’abolition des armes nucléaires, qui a déjà reçu la signature de plus de cent parlementaires ?

Je rendrai publiques, le jeudi 24 novembre au soir, depuis Strasbourg, vos réponses ou votre absence de réponse.

Veuillez agréer, Messieurs, l’expression de notre profond attachement aux valeurs de la République.

Pour ACDN,
Jean-Marie Matagne, Président

Action des Citoyens pour le
Désarmement Nucléaire (ACDN)
31, Rue du Cormier – 17100 - SAINTES
Tel : 06 73 50 76 61
contact@acdn.net

Pièces Jointes :

- Appel à référendum, Proposition de Loi référendaire et liste de ses premiers signataires au Parlement
- Tribune de MM. Alain Juppé, Bernard Norlain, Alain Richard et Michel Rocard, parue dans Le Monde du 14.10.2009
- Sondage IFOP-ACDN : Trois Français sur quatre veulent abolir l’arme nucléaire

Informations complémentaires :

27 octobre 2016 : le jour où le grand retournement de l’histoire est devenu possible

101 députés et sénateurs demandent un référendum sur l’abolition des armes nucléaires

Photos BFMTV


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