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Dialogue avec le général Jérôme Pellistrandi par Jean-Marie Matagne, président d’ACDN Publié le 27 mars 2021 Le 4 décembre 2019, le général Francis Lenne, officier de l’armée de l’Air, ancien formateur au service de la dissuasion nucléaire, devenu l’un de ses plus farouches opposants, adressait au général Jérôme Pellistrandi, rédacteur en chef de la Ce fut l’occasion d’un long dialogue, poursuivi jusqu’à ce jour, mais qui malheureusement n’aboutit pas à une publication croisée entre la revue "Défense nationale" et le site bilingue d’ACDN. Ce dialogue reste pleinement d’actualité, puisque la position de la France en matière de désarmement nucléaire, loin de changer, s’est enkystée. Nous le publions aujourd’hui, car il éclaire fortement les données du problème, de même qu’a pu le faire la "passe d’armes avec la ministre des Armées", Florence Parly, le 16 novembre 2020. *************************************************************************************************** Paris, le 4 décembre 2019 De : Jérôme Pellistrandi <jerome.pellistrandi@defnat.cm>
Bonsoir, j’ai bien reçu votre long mail d’analyse sur le dernier numéro de la RDN et je vous en remercie. A travers vos commentaires, votre propos vise la dissuasion nucléaire française et il est tout à fait légitime que vous remettiez en cause la dissuasion française avec une argumentation qui vous appartient, qui a ses fondements mais qui peut aussi être critiquée par bien des approches différentes. Cela ne me choque pas que vous remettiez en cause la RDN et que même vous la critiquiez. J’ai toujours admis le débat et je suis prêt à poursuivre la discussion. Il y a cependant un aspect que vous omettez systématiquement dans votre critique, c’est la réalité stratégique de l’arme nucléaire en particulier en Asie et au Moyen-Orient. J’aimerai ainsi savoir si vous agissez auprès de la Chine via son ambassade, ou la Corée du Nord, ou encore envers l’Iran dont le programme nucléaire n’est pas que civil. C’est bien là où le bât blesse. Que faites vous de l’augmentation programmée des SNLE chinois et du développement des armes hyper véloces par Pékin ou Moscou ? Que dites vous de l’attitude de Téhéran ? Que faites vous des déclarations d’Erdogan sur le nucléaire ? Je suis donc preneur de vos réflexions sur ces sujets. Bien cordialement Général (2S) Jérôme Pellistrandi *********** Monsieur le Rédacteur en chef, Vous avez eu l’amabilité de me mettre en copie de votre échange avec le général Lenne, ce dont je vous remercie l’un et l’autre. Permettez-moi donc de joindre ma voix à cet échange. Tout d’abord, je dois dire que je partage la critique de Francis Lenne sur le fond, pour l’avoir émise moi-même dans une thèse de doctorat d’Etat de philosophie soutenue en 1991. Il ne me parait pas logique d’approuver, d’un côté, les grands principes du droit humanitaire tels qu’appliqués au « droit de la guerre » (humanité, discrimination, proportionnalité) tout en s’efforçant, d’un autre côté, de justifier la « dissuasion » nucléaire, c’est-à-dire la menace d’employer des armes nucléaires - donc aussi l’éventualité de leur emploi effectif - alors que ces armes contreviennent par nature à tous ces principes. « Par nature », puisque leurs effets sont manifestement inhumains, ne font aucune distinction entre civils et militaires (qu’il s’agisse des personnes ou des biens), et sont hors de proportion avec quelque objectif militaire que ce soit. Ce ne sont pas seulement des armes de destruction massive, ce sont des armes d’extermination, de crime contre l’humanité. Leur incompatibilité avec le droit humanitaire et le droit international général est donc flagrante. Cependant, laissant de côté l’argument de fond, vous invoquez « la réalité stratégique de l’arme nucléaire en particulier en Asie et au Moyen-Orient ». Et vous demandez au général Lenne s’il agit aussi « auprès de la Chine via son ambassade, ou la Corée du Nord, ou encore envers l’Iran dont le programme nucléaire n’est pas que civil ». Il me semble que cette question mériterait plutôt d’être posée au Président de la République, qui a nettement plus de moyens de se faire entendre de la Chine ou de l’Iran et qui, de surcroît, serait tenu de le faire d’après l’article 6 du TNP auquel la France a adhéré le 2 août 1992. Il n’empêche : vous avez raison de vous soucier des « réalités stratégiques ». L’association que je préside s’en soucie justement depuis sa création en 1996. Ce que nous voulons fondamentalement, c’est l’abolition -l’interdiction et l’élimination effective- de toutes les armes nucléaires et radioactives sans exception. Autrement dit, un désarmement nucléaire multilatéral : négocié, programmé, intégral, universel et dûment contrôlé. Vous vous dites ouvert au débat et prêt à le poursuivre. Nous aussi. Dans ces conditions, accepteriez-vous de publier dans la Revue Défense Nationale un article d’une dizaine ou une douzaine de pages, que je serais prêt pour ma part à rédiger et vous fournir sur le thème : « Nucléaire : désarmement unilatéral ou multilatéral ? » ? Nous serions disposés, quant à nous, à vous ouvrir les colonnes de notre site bilingue, français et anglais, qui a reçu à ce jour plus de 900 000 visites*, dont la moitié par un lectorat anglophone de tous pays. Nous pourrions par exemple procéder à la publication simultanée de nos articles respectifs (sans aucune censure préalable), portant sur le même sujet et d’une longueur équivalente. Ce serait un bon moyen, nous semble-t-il, d’instaurer un dialogue et de lancer un débat dont le peuple français aurait grand besoin. En l’attente de votre réponse, cordialement. * Fin mars 2021, 1 million de visites. Jean-Marie Matagne ************* De : Jérôme Pellistrandi Bonjour, j’ai été très intéressé par votre réponse et je m’excuse du retard à vous répondre, étant actuellement en mission. Vous soulignez certains arguments tout à fait légitimes sur la dimension de l’arme nucléaire dont les capacités de destruction sont effectivement massives et dévastatrices. Je vous rappelle que la doctrine française est celle de la dissuasion et donc du non-emploi. Là encore, il est important d’analyser toutes les doctrines nucléaires, ce qui est rarement fait et j’attends toujours de la part des ONG une analyse détaillée des doctrines russes ou chinoises et des autres pays dotés de l’arme nucléaire. Je vous concède bien volontiers que la littérature chinoise est à cet égard très limitée. Je réitère là encore mon appréciation personnelle sur l’ambiguïté de certaines ONG concernant l’Asie et le Moyen-Orient. Vous dites qu’il incombe au président de la république de le faire. Mais dans ce cas là, la réciproque doit s’appliquer et il appartiendrait selon cette logique à Xi Jiping ou à ses acolytes de s’exprimer sur l’arme nucléaire française et au besoin des les éliminer. Je serai très intéressé de voir comment vous agissez concrètement envers ces pays dont vous admettrez bien que le type de régime laisse peu de place à la contestation. Donc jusqu’à preuve du contraire, je ne vois pas comment vous pouvez envisager un désarmement intégral et universel face à ces pays qui augmentent leurs capacités nucléaires. Ainsi, la Chine augmente le nombre de ses SNLE ainsi que la portée de ses missiles nucléaires. Face aux principes moraux que vous posez se pose une réalité géopolitique occultée. L’année prochaine, nous consacrerons un dossier au nucléaire et je serai alors très heureux d’y présenter vos positions. Le débat est en effet important et nécessaire. Les déséquilibres stratégiques actuels sont très inquiétants et remettent en cause bien des convictions des uns et des autres. Cela nécessite donc de prendre du recul et surtout de s’appuyer sur une analyse critique fondée sur des faits. Et à ce jour, les évolutions en Asie et au Moyen-Orient m’inquiètent tout particulièrement. Bien à vous Jérôme Pellistrandi *********************** De : ACDN Monsieur le rédacteur en chef, Veuillez tout d’abord m’excuser si je m’adresse à vous en évoquant votre fonction actuelle plutôt que votre grade. J’ai en effet du mal à vous appeler « mon général », d’abord parce que je ne suis ni militaire ni sous vos ordres, ensuite parce que, chacun de nous pouvant dans son domaine arguer de titres en rapport avec ses états de service, l’égalité républicaine exigerait que vous me répondiez en m’appelant… « mon docteur », ce qui, avouons-le, serait plutôt comique. De toute façon, c’est bien à vous en tant que rédacteur en chef de la Revue Défense Nationale que je me suis adressé et comme tel que vous avez bien voulu me répondre. Dans cette réponse, dont je vous remercie, vous attribuez aux armes nucléaires des « capacités de destruction effectivement massives et dévastatrices », qui rendent « tout à fait légitimes », dites-vous, les « arguments » qu’on peut leur opposer. C’est un point d’accord important, même si, à vrai dire, je ne pense pas qu’il soit besoin d’argumenter longtemps au sujet de ces armes, tant la conclusion s’impose avec évidence : on ne peut que condamner sans appel leur emploi. C’est ce qu’a fait en termes parfaitement clairs l’Assemblée générale de l’ONU dans sa résolution 1653 XVI du 24 novembre 1961 : « considérant que l’emploi d’armes nucléaires et thermonucléaires entraînerait pour l’humanité et la civilisation des souffrances et des destructions aveugles dans une mesure encore plus large que l’emploi des armes que les déclarations et accords internationaux susmentionnés proclamaient contraires aux lois de l’humanité et criminelles aux termes du droit international, tout Etat qui emploie des armes nucléaires et thermonucléaires doit être considéré comme violant la Charte des Nations Unies, agissant au mépris des lois de l’Humanité et commettant un crime contre l’Humanité et la civilisation. » Ces engins ne sont pas des armes de guerre, ni même seulement des « armes de destruction massive », mais, comme je vous l’écrivais précédemment, des armes de crime contre l’humanité, des armes d’extermination. A ce titre, elles sont absolument condamnables. On ne discute pas le bien-fondé des chambres à gaz, pourquoi discuterait-on celui des armes nucléaires ? Cependant, il ne sert à rien de les condamner si la condamnation n’est pas suivie d’effet. Puisqu’elles bafouent l’humanité en chacune de leurs victimes et puisqu’elles menacent d’anéantir l’humanité entière, elles n’ont pas droit de cité et il importe de les éliminer toutes, jusqu’à la dernière. C’est là qu’un débat peut s’ouvrir, sur la meilleure façon d’y parvenir. Il faut trouver la méthode, le processus rigoureux qui permettra d’en débarrasser la planète sans provoquer lui-même la catastrophe humanitaire qu’il s’agit justement d’éviter. Le titre que j’ai avancé pour ma contribution : « Nucléaire : désarmement unilatéral ou multilatéral ? » me paraît, en première approche, s’accorder à l’objet du débat. Parmi les points qui selon vous devraient s’inscrire dans le débat, vous évoquez la situation en Asie. Vous avez certainement raison de vous en inquiéter. C’est un sujet d’inquiétude qui ne date pas d’aujourd’hui, même s’il s’est aggravé, et dont l’association que je préside s’inquiète depuis ses origines. Vous écrivez : « Je serai très intéressé de voir comment vous agissez concrètement envers ces pays dont vous admettrez bien que le type de régime laisse peu de place à la contestation. » Bien que ce ne soit pas, comme je vous l’ai déjà écrit, aux ONG d’effectuer les démarches diplomatiques qui incombent au gouvernement, je ne voudrais pas vous donner l’impression d’esquiver la question. Je vais donc y répondre, ce qui va m’obliger à être un peu long. Vous voudrez bien m’en excuser. ACDN a pleinement conscience des obstacles qui se dressent sur la route de l’abolition. Nous avons comme vous le souci des réalités stratégiques concrètes et nous faisons, avec nos moyens bien modestes, tout notre possible pour les infléchir dans le sens d’un désarmement nucléaire général et complet, y compris dans cette zone « chaude », pour ne pas dire explosive, qu’est le Moyen-Orient. Nous savons par exemple que les Israéliens, comme a pu l’écrire le général Buis, « constituent, et de loin, le peuple le plus crédible sur l’échiquier mondial, à court et à moyen terme, dans sa détermination à mourir plutôt qu’à disparaître en tant que citoyens d’un Etat national ». En octobre 2002, nous avons écrit à l’ambassadeur d’Israël à Paris pour plaider en faveur de Mordechai Vanunu, qui avait déjà purgé 16 ans de prison pour avoir apporté les preuves du fait qu’Israël possédait la bombe. En conclusion de cette lettre (que je peux vous communiquer à titre personnel, si vous le souhaitez), nous avons prié l’ambassadeur de transmettre à son gouvernement la question : « si les cinq Etats nucléaires parties au Traité de Non-Prolifération réalisaient l’engagement qu’ils ont pris le 19 mai 2000 d’éliminer la totalité de leurs arsenaux nucléaires, Israël envisagerait-il de s’insérer dans un processus de désarmement nucléaire, biologique et chimique, intégral, universel et strictement contrôlé ? » Vous voyez que notre volonté porte bien sur un désarmement nucléaire intégral, universel, dûment contrôlé, et interpelle tous les Etats concernés, pas seulement la France ni les seuls Etats du P5. En 2004, 2006 et 2008, nous avons organisé les 1e, 2e et 3e Rencontres Internationales pour le Désarmement Nucléaire, Biologique et Chimique (RID-NBC) à Saintes, ville où ACDN a son siège social et qui rallume chaque année depuis 2001 la Flamme du Désarmement Nucléaire, avec la participation de la municipalité (quelle que soit sa couleur politique) et des Anciens Combattants. Nous avons invité aux RID des militants internationaux du désarmement nucléaire ou chimique, mais aussi des représentants officiels de pays concernés, comme le représentant permanent de la France à Genève (qui serait venu si ses autorités de tutelle ne l’en avaient pas découragé) et nombre d’ambassadeurs, dont ceux d’Iran et d’Israël. En 2008, une vingtaine de nationalités étaient représentées, soit par la société civile, soit par des diplomates. Israël a malheureusement laissé sans réponse, même de pure politesse, toutes les invitations et toutes les missives que nous lui avons envoyées au fil des années. L’Iran, en revanche, s’est fait représenter aux RID-NBC de 2006 par son ambassadeur faisant fonction, et en 2008 par son ambassadeur en titre. Pour préparer sa venue éventuelle, nous avons rencontré ce dernier (comme son prédécesseur) à l’ambassade d’Iran à Paris. Nous lui avons précisé d’emblée que le fait de l’inviter aux Rencontres de Saintes ne signifiait en aucun cas que nous approuvions le régime qu’il représentait, et qu’au contraire nous réprouvions le sort fait, notamment, aux opposants politiques, aux femmes et aux homosexuels en Iran. Ce qui a bien failli provoquer un clash. En second lieu nous lui avons également précisé que ces Rencontres étaient ouvertes au public, que la parole y était entièrement libre, et qu’il devait par conséquent s’attendre à devoir répondre à toutes sortes de questions. De fait, il fut interpellé pendant les 3e RID par un membre fondateur du Comité israélien pour un Moyen-Orient sans armes de destruction massive, Gideon Spiro. L’ambassadeur d’Iran, en dépit des sévères consignes de son gouvernement, répondit à l’Israélien et, pour finir, lui serra la main publiquement. Ce fut un moment fort. Si l’ambassadeur d’Israël avait été là, peut-être aurait-il pu discuter ensuite off record avec l’ambassadeur d’Iran ? Qui sait ce qui s’en serait suivi ? En novembre 2007, à un moment où la guerre menaçait déjà d’éclater entre Israël et l’Iran, Michel Rocard, Yehuda Atai (autre cofondateur du Comité israélien déjà cité) et moi-même avons publié dans Libération un Appel aux Européens : Empêchons la guerre contre l’Iran, qui reçut du monde entier de très nombreux soutiens. On ne saura sans doute jamais si cet appel eut un impact quelconque, mais on peut légitimement considérer que l’accord du 14 juillet 2015 sur le nucléaire iranien répondait, près de huit ans plus tard, à notre souhait commun de voir le risque de prolifération iranienne neutralisé par la voie diplomatique et non pas par une guerre de plus. Il est infiniment regrettable que le président Trump ait sabordé récemment cet accord, conduisant ainsi l’Iran à revenir sur certains de ses engagements. Vous admettrez, je pense, que nous n’y sommes pour rien. Voilà qui répond, je l’espère, à votre questionnement. Oui, nous savons que parmi les pays concernés par le désarmement (ou le non-armement) nucléaire, il y en a dont « le type de régime laisse peu de place à la contestation ». Mais la situation est-elle vraiment meilleure en France ? Permettez qu’à mon tour je vous pose une question : que fait la diplomatie française pour tenir son engagement au titre de l’article 6 du TNP et obliger les autres Etats du P5 à négocier avec elle l’élimination de leurs armes ? La question que nous avons posée au Président et au gouvernement, et que nous souhaitons voir poser par référendum au peuple français est celle-ci : « Approuvez-vous que la France participe à l’abolition des armes nucléaires et radioactives et engage avec l’ensemble des Etats concernés des négociations visant à établir, ratifier et appliquer un traité d’interdiction et d’élimination complète des armes nucléaires et radioactives, sous un contrôle mutuel et international strict et efficace ? » A cette question, selon l’IFOP, 85 % des Français répondraient OUI. Que doit-on en conclure ? Nous ne demandons pas que la France désarme unilatéralement sans s’occuper des « réalités stratégiques » telles que celles que vous évoquez : « l’augmentation programmée des SNLE chinois », le « développement des armes hyper véloces par Pékin ou Moscou », « les déclarations d’Erdogan sur le nucléaire » ou « l’attitude de Téhéran ». Nous lui demandons au contraire de s’en occuper activement ! Mais pour être honnêtes, il faut être exhaustifs. Outre celles que vous avez citées, d’autres réalités font partie des données à prendre en compte. Citons par exemple les intentions de l’Arabie Saoudite -dont il n’est pas exclu qu’elle possède déjà une ou plusieurs bombes atomiques-, la politique de l’OTAN, « l’attitude » de Washington, de Moscou, de Pékin, de Pyongyang, de New Delhi, d’Islamabad, de Tel Aviv, de Londres… et de Paris. Par exemple le traité franco-britannique « Teutatès », qui prévoit une coopération des deux pays pour entretenir leurs armes pendant 50 ans. Ou l’augmentation de 50% du budget de modernisation et de renouvellement des armes nucléaires françaises sur la durée de la LPM 2019-2025, pour un coût cumulé de 37 milliards d’Euros. Est-ce ainsi que la France fait progresser le désarmement nucléaire et régresser la prolifération, tant horizontale que verticale ? Soyez donc assuré, Monsieur le rédacteur en chef, que nous ne pratiquons pas la langue de bois, même quand il s’agit du TIAN, et que notre contribution à la réflexion stratégique française, si elle doit avoir lieu dans votre revue, ne craindra pas d’aborder les faits, tous les faits, dans la limite de la place disponible, qu’ils soient ou non favorables à l’objectif que nous poursuivons sans relâche, ACDN depuis plus de 23 ans, et moi-même depuis bientôt 34 ans. En conclusion, je vous remercie de bien vouloir me confirmer que vous acceptez de publier dans le numéro que la RDN doit consacrer au nucléaire un article de dix à douze pages que je suis prêt à rédiger, de me faire savoir vers quelle date cette publication pourrait avoir lieu (si vous la connaissez déjà), et de m’indiquer si vous êtes disposé à fournir de votre côté un article d’une longueur équivalente sur le même sujet, article que nous publierions sur le site d’ACDN en même temps que le mien, et dont nous pouvons, si vous le souhaitez, assurer la traduction et la publication en anglais. Nous sommes toujours prêts au dialogue avec quiconque, pourvu que le débat soit franc et loyal. Ce qui, j’en suis sûr, sera le cas en l’occurrence. Jean-Marie Matagne *********** De : Jérôme Pellistrandi Bonsoir Docteur. Figurez vous que je suis aussi Docteur en Histoire à l’Ecole Pratique des Hautes Etudes. Et donc je suis tout à fait en mesure de vous appeler par ce titre, ce qui serait d’ailleurr le cas dans d’autres Etats comme en Allemagne.. Juste quelques points d’interrogation : si l’on peut se réjouir de la présence d’ambassadeurs à vos rencontres, je constate que depuis 2008 vous n’avez pas reçu à nouveau les ambassadeurs d’Iran notamment ou de Chine. Or, depuis cette date, la situation a largement évolué en particulier en Iran ou en Corée du Nord. Je reste donc en attente d’éléments plus concrets. Que faites vous envers Moscou ? Là encore, je ne vois pas beaucoup d’éléments tangibles. Que faites vous de la prolifération balistique soutenue notamment par la Corée du Nord et le Pakistan ? Que dites vous du programme de construction de SNLE par la Chine visant à augmenter leur nombre ? Autant de questions sans réponse. Je soumettrai au Comité de rédaction de la RDN votre proposition car il est important de débattre. Bien cordialement. Jérôme Pellistrandi *********************** Bonsoir Docteur, bonsoir Général (ce qui me gênait, c’était le « mon »). Depuis 2008, nous avons fait bien des choses. Des Etats généraux et une charte pour un monde vivable, par exemple. Ou une proposition de loi référendaire qui a recueilli la signature de plus de 120 parlementaires. Ou six semaines de grève de la faim, pour ce qui me concerne. Mais nous ne sommes pas le ministère des Affaires étrangères. Nous n’en avons ni le budget, ni le personnel, ni surtout la compétence et les missions. Donc, n’attendez pas de nous, je vous prie, que nous résolvions tous les problèmes de la planète. S’en soucier, chercher des solutions, ce n’est déjà pas mal. Du programme de SNLE chinois, je dis qu’il est tout aussi regrettable que le programme de SNA français. La Chine s’inspire du modèle français, mais faut-il s’en réjouir ? Il est vrai qu’on pourrait lui vendre quelques Barracuda pour protéger ses SNLE... Bonne affaire, n’est-ce pas ? Elle est quasiment dans le sac, puisque les Chinois savent déjà faire fonctionner nos EPR, contrairement à nous. Qu’avez-vous fait vous-même, Docteur, qu’a fait la RDN en direction de Pyongyang ou de Moscou ? Je serais moi aussi très intéressé de l’apprendre. Même si je doute que vous obteniez quoi que ce soit de plus que nous, si ce n’est pas la France qui en prend l’initiative. Le désarmement nucléaire est l’affaire des Etats, la volonté de désarmer, celle des peuples. Cordialement. Jean-Marie Matagne ********************** De : Jérôme Pellistrandi <jerome.pellistrandi@defnat.com>
Bonjour, regardez la dernière déclaration commune de la France, du Royaume Uni et de l’Allemagne sur le programme de missiles balistiques à capacité nucléaire de l’Iran. Quant au programme des SNA français, il est indispensable et n’attendez pas de la RDN une remise en cause. Sans omettre que dans un SNA seule la propulsion est nucléaire. Moi, ma mission est d’analyser et de rapporter les menaces. pas de désarmer. Bien à vous Jérôme Pellistrandi ************** Le 17 déc. 2019 à 02:57, ACDN a écrit : Docteur, Vous êtes terrible. En quatre lignes, vous m’obligez à en écrire une palanquée. Je vais quand même vous répondre. Premier point : Missiles iraniens. Evidemment, il est fâcheux que l’Iran acquière des missiles balistiques « à capacité nucléaire » (quoique on aimerait savoir ce qui définit cette « capacité »). L’Allemagne pourrait à la rigueur le lui reprocher (quoique elle héberge elle-même des bombes US B61 « à capacité nucléaire » certaine). Mais la France, la Grande-Bretagne ? Non seulement elles en ont aussi, des missiles balistiques, mais en plus, leur « capacité nucléaire » est établie et proclamée. Quand on possède quelque chose, on est mal venu de reprocher à d’autres de vouloir obtenir la même chose. Quand donc les EDAN comprendront-ils que le « deux poids, deux mesures », ça ne peut plus fonctionner ? C’ est une insulte à l’intelligence humaine et au principe d’égalité. Les armes atomiques, tout le monde y a droit, ou bien personne. Si ce sont des instruments de sécurité et de souveraineté nationale, c’est tout le monde. Si ce sont des engins de crime contre l’humanité, c’est personne. Faites votre choix, Messieurs les Etats nucléaires, et commencez par respecter l’article 6 du TNP si vous voulez empêcher la prolifération. En outre, comment des Etats (Allemagne comprise) qui ont négocié et signé avec l’Iran un accord aussi précieux que difficile à atteindre peuvent-il laisser piétiner cet accord par leur allié américain, et s’incliner devant ses injonctions ? Puis prétendre donner à l’Iran des leçons de respect des traités ? Deuxième point : SNLE chinois et SNA français. J’ai rapproché ces deux types de programmes parce que « les deux font la paire ». Les SNA sont multifonctions, mais dans le domaine nucléaire, ils agissent comme « chiens de garde » des SNLE battant même pavillon et comme « chiens de chasse » à l’égard des SNLE adverses. En matière d’armement nucléaire, notamment sous-marin, la Chine avait plusieurs trains de retard, et la France plusieurs trains d’avance. Mais les Occidentaux, France en tête, ont réussi à la convaincre qu’ils n’avaient aucune espèce d’intention de renoncer à leur armement nucléaire et qu’il fallait donc qu’elle s’y mette à son tour pour de bon, elle aussi. Avez-vous remarqué que la Chine tend souvent à calquer la France (premier essai nucléaire, adhésion au TNP, suspension des essais…) ? Ainsi, puisque la France ne cesse de moderniser sa composante sous-marine (SNLE, SNA, M45/M51), il est bien naturel que la Chine développe aussi la sienne. On peut s’en inquiéter, mais il n’y a vraiment pas lieu de s’en étonner. Nous lui servons de modèle. (Cocorico.) Troisième point : Nucléaire. Explosion et propulsion. Certes, les SNA français ne sont nucléaires que par leur propulsion. Mais : Dernier point : Votre mission. Loin de moi l’idée de vous demander de « désarmer ». Nous sommes d’accord : ce n’est pas votre mission, ni celle de la RDN. Pas plus que ce n’est la mienne, ni celle d’ACDN, ni, celle de quelque ONG que ce soit. Une fois de plus je l’affirme (pour la dernière fois entre nous, je l’espère) : c’est la responsabilité du gouvernement français. Et des gouvernements de tous les autres Etats dotés (EDAN selon le TNP + Etats dotés « officieux », hors TNP). Oui, votre mission est, entre autres, de « rapporter les menaces ». Elle est utile dès à présent, dans un contexte international qui n’est pas pavé que de bonnes intentions, loin s’en faut et ça ne s’arrange pas. Mais elle le sera encore plus le jour où la France aura à négocier (parce qu’elle l’aura décidé et provoqué) l’abolition des armes nucléaires. Il faudra alors que ses négociateurs soient alertés sur toutes les menaces possibles, existantes ou potentielles. Et j’espère que ce jour-là, ils disposeront d’un soutien efficace de nos services de renseignement. Oui encore, votre mission est d’ « analyser » ces menaces. Mais permettez-moi cette remarque : dans votre analyse, vous ne devriez pas vous contenter de recenser les menaces « sectorielles » : les missiles iraniens, les SNLE chinois, les ambitions nucléaires de M. Erdogan, etc.. (on pourrait en ajouter bien d’autres). Vous devriez remonter à la source de toutes ces menaces : le système global, qui privilégie et impose des relations internationales fondées sur la volonté de domination, l’orgueil nationaliste, la concurrence, la peur, la méfiance, la menace réciproque, allant jusqu’à la menace d’anéantissement de l’Autre, de sa population. Jusqu’au génocide. Jusqu’à l’anthropocide. L’arme nucléaire est la clef de voûte de ce système aberrant qui peut conduire à tout moment l’humanité à sa perte. Il existe une solution alternative : éteindre toutes ces menaces en asséchant leur source. Dénucléariser la planète. Provoquer enfin la mise en œuvre de l’article 6 du TNP : « Chacune des Parties au Traité s’engage à poursuivre de bonne foi des négociations sur des mesures efficaces relatives à la cessation de la course aux armements nucléaires à une date rapprochée et au désarmement nucléaire et sur un traité de désarmement général et complet sous un contrôle international strict et efficace. » Il n’y a aucune garantie que les autres EDAN répondent à l’appel de la France (évidemment soutenu par l’ONU). Mais la probabilité en est élevée. Aucune garantie que les autres Etats dotés qui ne sont pas partie au TNP rejoindront les EDAN pour négocier. Mais la probabilité est loin d’en être nulle (l’Inde, le Pakistan se sont abstenus sur la résolution L41, et la Corée du Nord a voté pour !). Aucune garantie que la négociation aboutisse. Mais on ne risque rien à la tenter. Et la probabilité que le système actuel de « déséquilibre de la terreur » finisse par exploser est bien plus élevée. Songez-y, Docteur, je vous prie. Cordialement. Jean-Marie Matagne *************** De : Jérôme Pellistrandi Bonjour, j’admire votre générosité et elle vous honore. maintenant, votre raisonnement est biaisé sur de nombreux points : Iran : Que faites vous d’un régime qui proclame haut et fort sa volonté de détruire Israël et dont toute la politique vise à se doter d’une façon ou d’une autre de l’arme nucléaire ? Et quid de la Corée du Nord ? Chine : Elle n’a pas besoin de la France pour faire ce qu’elle veut et que faites vous de la volonté hégémonique de Xi ? Là encore, pas de réponse, elle augmente ses capacités nucléaires quantitativement. SNLE et SNA : le fond du problème est que vous êtes opposés à l’énergie nucléaire sous toutes ses formes. Que dites vous de la centrale nucléaire flottante russe qui vient d’être mise en service ? Donc de facto, pas de dialogue possible Ma mission : votre dernier paragraphe est éloquent : aucune garantie ! Donc baisser la garde et faire la chèvre seraient alors la solution ! Désolé, mais ce ne sera jamais ma position. Là encore, regardez ce qui se passe sur la scène internationale. Mais après tout, quand nous aurons renoncé à l’arme nucléaire et que la Chine de par sa puissance aura pris le contrôle de notre économie et de notre vie au quotidien (reconnaissance faciale de Huawei, renonciation aux principes du droit international, notation « citoyenne », soumission des religions et ....) ce sera le paradis sur terre. C’est votre choix mais pas le mien. Même si je suis conscient des difficultés de notre société (avec mon épouse nous avons 7 enfants...) et de préparer l’avenir. Et une de mes arrières grand-mère est morte en déportation parce que nos anciens ont été aveugles face au totalitarisme. Bien à vous. Général (2S) Jérôme Pellistrandi ********** De : ACDN Bonjour Docteur. J’admire votre générosité et elle vous honore. Maintenant, votre raisonnement est biaisé sur de nombreux points : Détrompez-vous, mes positions ne s’expliquent pas du tout par la générosité que vous me prêtez à tort. Si je souhaite que l’on dépasse l’ère de la « dissuasion nucléaire » (dissuasion réelle ou supposée, je n’en discute pas ici), c’est-à-dire l’ère de « l’équilibre de la terreur », ce n’est ni par idéalisme ni par angélisme. C’est au contraire par réalisme. Car il est complètement irréaliste de croire que l’on pourra esquiver indéfiniment son issue la plus probable si on n’abolit pas les A.N. : l’apocalypse (régionale et/ou planétaire). Si l’humanité a échappé à cette tragédie jusqu’à présent, c’est avant tout par chance. Inutile de vous rappeler les épisodes historiques où l’on est passé à deux doigts d’une guerre atomique. Il y en a eu plusieurs et vous devez les connaître. Ce qui compte, c’est la conclusion qu’on en tire. Les turfistes vous le diront : on ne peut pas toujours gagner. La chance finit par tourner et déjouer les pronostics même les mieux informés. Et dans le cas des A.N., il suffit d’une seule fois pour tout anéantir. C’est le sort même de l’humanité qui se joue actuellement à la roulette russe. Il est minuit moins 2, nous disent les savants du Bulletin of Atomic Scientists depuis janvier 2018, et pas seulement eux. Iran : Que faites-vous d’un régime qui proclame haut et fort sa volonté de détruire Israël et dont toute la politique vise à se doter d’une façon ou d’une autre de l’arme nucléaire ? C’est un peu plus complexe, il me semble. Vous reprenez là les accusations -sans doute fondées- des Israéliens. Mais si l’on s’en tient aux proclamations, la République islamique d’Iran ne dit pas vouloir « détruire Israël » ni le « rayer de la carte », depuis qu’Ahmadinejad n’est plus président. Le régime islamique d’Iran déclare ne pas reconnaître Israël -ce qui est différent- le considérant illégitime parce qu’il s’est imposé par la force au détriment des Palestiniens, ce qui est vrai. Pour résoudre le problème israélo-palestinien, le régime propose qu’un vote soit organisé sur l’ensemble du territoire palestinien d’avant 1948, auquel participeraient tous ses habitants actuels mais aussi « tous les juifs, tous les musulmans, tous les chrétiens et toutes les personnes qui sont originaires de la Palestine et qui sont en errance ». Vote qui déciderait de la constitution (et de l’appellation, sans doute) d’un Etat unique. On comprend bien que cette perspective ne soit pas faite pour plaire à Israël. Mais, dans le principe du moins, elle n’a rien d’absurde. Alors que la solution des deux Etats, israélien et palestinien, n’est toujours pas acquise, un Etat fédéral, multiconfessionnel ou, mieux encore, laïque, ne serait-il pas à même d’apaiser les conflits religieux ? Sans compter que le modèle pourrait s’exporter en Iran par effet boomerang, en Arabie Saoudite, etc… (Pour ne rien vous cacher, je trouve que les religions théocratiques contribuent grandement au désordre du monde et qu’elles feraient mieux de rester à leur place, qui est privée.) Par ailleurs, le régime des mollah affirme n’avoir jamais voulu la bombe atomique, car elle est selon lui contraire aux préceptes de l’Islam. Evidemment, ce ne sont que des proclamations. Le shah d’Iran lui-même voulait la bombe (sans vouloir pour autant la destruction d’Israël). Mais Hassan Rohani a déclaré devant l’ONU, en septembre 2013, qu’Israël devrait signer le TNP, ce qui revenait à reconnaître son existence en tant qu’Etat, tout en réclamant la fin du « double standard » dont il bénéficie. Ce serait peut-être la voie menant à un Moyen-Orient apaisé et libéré de toutes les armes de destruction massive. Depuis l’accord Iran-P5+1 de 2015 -voulu et négocié par Hassan Rohani, mais combattu par les gardiens de la Révolution-, les choses semblaient en voie d’apaisement. Le torpillage de cet accord par Donald Trump et l’aplatissement des Européens devant son diktat, remettent en cause les progrès vers un modus vivendi. A qui la faute ? Et quid de la Corée du Nord ? Je vous retourne la question : quid de la Corée du Nord ? Chine : Elle n’a pas besoin de la France pour faire ce qu’elle veut [D’accord.] et que faites-vous de la volonté hégémonique de Xi ? Il faut la contrecarrer. Là encore, pas de réponse, elle augmente ses capacités nucléaires quantitativement. Si, il y a une réponse : il faut le dissuader de suivre le mauvais exemple occidental et russe de prolifération verticale. Comment ? En l’amenant à la table de négociations, ainsi que Poutine, bien sûr, pour respecter l’article 6 du TNP. En montrant que nous sommes prêts à désarmer, nous aussi, conformément à nos obligations communes. Dans un processus collectif, méthodique, équilibré, rigoureux et contrôlé. SNLE et SNA : le fond du problème est que vous êtes opposés à l’énergie nucléaire sous toutes ses formes. Non, pas sous toutes ses formes. Nous trouvons très utiles les radiographies, dentaires ou autres, et le traitement radiologique des cancers, y compris ceux provoqués par la hausse de la radioactivité ambiante induite par les essais nucléaires (Cf. les nombreux cancers des vétérans des essais) et par les accidents nucléaires civils. Mais nous trouvons absurde de recourir à la réaction en chaîne pour Et tout cela pour satisfaire à l’échelle mondiale environ 2% de la consommation énergétique finale (mais 17 % en France, avec près de 75 % de l’électricité produite - cas unique au monde et particulièrement pénalisant). L’EPR, chef d’oeuvre du savoir-faire français (à condition d’être construit et exploité par les Chinois…) est la parfaite illustration de ces choix aberrants : à Flamanville, 12 ans de retard, budget multiplié par 4, et pas un kilowattheure de produit ! Même chose à Olkiluoto, Finlande. Dépêche AFP du 20/12/2019 : « L’électricien finlandais TVO a annoncé ce jeudi que le chantier du réacteur EPR, construit par le consortium Areva-Siemens et qui accuse déjà plus de 10 ans de retard, était prolongé de plusieurs mois, avec une mise en service reportée à 2021. » L’énergie nucléaire est une énergie du passé, sans aucun avenir. Même financièrement. Rendue publique mardi 17 décembre, voici ce qu’en dit l’édition 2019 du World Nuclear Industry Status Report (WNISR2019) : « Entre 2009 et 2018, les coûts du solaire commercial ont baissé de 88 % et ceux de l’éolien de 69 %, alors que dans le même temps, ceux du nucléaire augmentaient de 23 %... La production d’électricité éolienne a augmenté de 29 % en 2018 et celle du solaire de 13 %, contre 2,4 % pour celle du nucléaire, imputable pour les trois quarts à un seul pays, la Chine... l’urgence climatique exige que les décisions d’investissement favorisent impérativement les stratégies de réponse les moins onéreuses et les plus rapides. L’option nucléaire s’est constamment révélée comme la plus chère et la plus lente ». Que dites-vous de la centrale nucléaire flottante russe qui vient d’être mise en service ? Je dis qu’elle n’aurait jamais dû être fabriquée et qu’elle doit être arrêtée et démantelée dès que possible, avant de couler. Un Tchéliabinsk, un Tchernobyl, ça suffit ! Heureusement, elle a peu de chance de faire des petits. Les Small Modular Nuclear Reactors n’ont pas d’avenir non plus. Donc de facto, pas de dialogue possible. C’est vous qui le dites. Mais rien ne permet de l’affirmer, puisque ça n’a jamais été essayé. Ma mission : votre dernier paragraphe est éloquent : aucune garantie ! Plus exactement, j’ai écrit : « …Aucune garantie que la négociation aboutisse. Mais on ne risque rien à la tenter. » Je dis donc : aucune garantie que les négociations franchissent toutes les étapes jusqu’à leur objectif ultime. Parce que je suis parfaitement conscient des obstacles qui se dressent sur sa route. Ce qui prouve que je regarde les choses avec réalisme. Je ne dis pas : demain, on rase gratis, demain on entre au pays des merveilles. Je dis : la tâche est ardue, elle est même énorme, les résultats ne sont pas donnés d’avance, ils impliquent des efforts, un travail considérable, un minimum de bonne foi au départ et l’instauration progressive d’une confiance mutuelle entre les Etats concernés... Avec pour mot d’ordre (valable pour chaque Partie aux négociations, y compris bien sûr la Partie française) : « Fais confiance… et vérifie ! Donne-toi les moyens de vérifier ! » Ce n’est pas ACDN, dois-je vous le rappeler, c’est le TNP signé par les EDAN, dont la France, qui exige en son article 6 : « Chacune des Parties au Traité s’engage à poursuivre de bonne foi des négociations sur des mesures efficaces relatives à la cessation de la course aux armements nucléaires à une date rapprochée et au désarmement nucléaire et sur un traité de désarmement général et complet sous un contrôle international strict et efficace. » Nous ne faisons qu’exiger l’application du droit international. Cependant, nous avons observé que le « contrôle international », même conduit par une institution sérieuse et dotée de solides moyens comme l’AIEA, n’est pas forcément « strict et efficace ». La preuve : la Corée du Nord a réussi à déjouer les contrôles de l’AIEA et à détourner vers la construction de bombes le plutonium issu d’un réacteur nucléaire soi-disant dédié à « la recherche ». Donc, justement parce que nous sommes réalistes, parce que nous ne sommes pas des enfants de chœur, contrairement à ce que vous semblez croire, parce que nous ne voulons pas « baisser la garde » devant des petits malins qui voudraient profiter du désarmement des uns pour s’armer ou conserver leurs armes pendant que les autres rendraient les leurs, nous avons ajouté au contrôle international, dans la question que nous souhaitons voir soumise à référendum, le contrôle mutuel : « Approuvez-vous que la France participe à l’abolition des armes nucléaires et radioactives et engage avec l’ensemble des Etats concernés des négociations visant à établir, ratifier et appliquer un traité d’interdiction et d’élimination complète des armes nucléaires et radioactives, sous un contrôle mutuel et international strict et efficace ? » Le contrôle mutuel, qui a fait ses preuves dans le cadre de traités de désarmement bilatéral russo-américain, viendra démultiplier le contrôle international. Imaginez 9 Parties à un traité d’élimination (ou 10, ou 11, car on est bien partis pour…). Chaque Partie peut contrôler à tout moment chacune des huit, neuf ou dix autres (notamment par des inspections impromptues, sans délai ni avertissement) et se faire contrôler réciproquement par chacune d’elles. Ajoutez-y la surveillance systématique de plusieurs instances internationales comme l’AIEA, l’organisation du TICE (qui entrerait enfin en vigueur !), ou encore une instance européenne à créer, qui mettrait en commun tous les moyens de renseignement des membres de l’UE (y compris ses ENDAN)… Moyens de vérification, moyens collectifs de sanction, de contrainte et d’intervention, planning des réductions d’armement en fonction des inégalités de départ, méthodes de démantèlement et destin des matériaux fissiles, etc. C’est de tous ces points et d’autres encore (comme les armes radioactives qui ne sont pas nucléaires, mais qui portent atteinte comme elles au génome humain) que les négociations devront traiter. Parallèlement, il faudra bien que les Etats dotés résolvent les différends qui les opposent entre eux ou avec leurs voisins et qui les retiennent de désarmer. On conçoit mal qu’Israël, par exemple, consente à rendre ses armes nucléaires sans avoir acquis au préalable la certitude de sa survie en tant qu’Etat. Nos amis du Comité israélien pour un Moyen-Orient sans armes de destruction massive en sont conscients. On ne conçoit guère davantage que l’Inde et le Pakistan désarment avant d’avoir trouvé une solution qui leur convienne pour le Cachemire, et une forme de coexistence pacifique entre leurs religions. Il faut aussi atteindre un certain équilibre des forces conventionnelles. C’est tout cela qui complique considérablement l’adoption d’un « traité de désarmement [nucléaire] général et complet, sous un contrôle [mutuel et] international strict et efficace ». C’est ce qui rendra difficile sa négociation. Mais c’est aussi ce qui en fera un instrument vertueux pour établir une gouvernance mondiale conforme à la Charte de l’ONU, laquelle bannit la guerre comme moyen de résoudre les conflits. Donc baisser la garde et faire la chèvre seraient alors la solution ! Désolé, mais ce ne sera jamais ma position. Pas du tout ! Il ne s’agit pas de « baisser la garde » unilatéralement. Il s’agit que chacun baisse la sienne progressivement, en même temps que les autres (mais à un rythme convenu qui peut varier de l’un à l’autre, puisque les stocks d’armes russes et américaines sont bien plus importants que les autres). Notez-le bien, je vous prie : contrairement à d’autres associations abolitionnistes françaises, ACDN ne demande pas que la France signe dès maintenant, en l’état et sans condition, le Traité d’Interdiction des Armes Nucléaires. A nos yeux, le TIAN a, certes, le grand mérite d’interdire les armes nucléaires au même titre que les autres armes de destruction massive, mais il a aussi plusieurs défauts graves, dont celui, essentiel, de ne proposer aux EDAN qu’un désarmement unilatéral, soit avant, soit après leur adhésion au traité, sans rien prévoir en termes de désarmement multilatéral. Nous voulons donc -conformément à l’article 6 du TNP- un désarmement multilatéral. Général et complet. Strictement contrôlé. Encore plus strictement contrôlé que ne le prévoit le TNP. Un traité d’abolition (interdiction ET élimination), négocié entre tous les Etats concernés, c’est-à-dire d’une part, pour l’élimination, les Etats qui possèdent ou hébergent des armes nucléaires, qu’ils soient Parties ou non au TNP, et d’autre part, pour l’interdiction… tous les Etats sans exception, en commençant par les Etats ayant ratifié le TIAN, avec pour objectif de l’amender pour le rendre acceptable par les EDAN et l’arrimer au traité d’élimination. L’ensemble pouvant constituer à l’arrivée un unique traité d’abolition. Pour que ces négociations commencent, il serait préférable mais pas indispensable que tous les Etats dotés en soient d’emblée parties prenantes. Si la France lance cette initiative avec au moins un autre EDAN (le Royaume-Uni par exemple), il y a de fortes chances pour que les autres EDAN la rejoignent, puis les autres Etats dotés restés hors TNP (ou sorti du TNP), y compris pour finir Israël, bien que ce soit, je vous l’accorde, le plus difficile. Là encore, regardez ce qui se passe sur la scène internationale. Je regarde effectivement depuis un bon demi-siècle « ce qui se passe sur la scène internationale » et ce qui s’y est passé auparavant. (...) Puisque vous êtes historien, vous admettrez avec moi, je pense, que l’histoire du XXe siècle offre des épisodes d’une extraordinaire diversité, variables dans l’espace et le temps, et que le meilleur y côtoie le pire. Qui aurait pu imaginer, par exemple, en mars 1985, lorsque Mikhaïl Gorbatchev devint secrétaire général du PCUS, qu’à peine plus de quatre ans plus tard, le « rideau de fer » qui séparait depuis quarante ans l’Europe en deux blocs s’effondrerait, et cela sans guerre, sans un coup de feu, sans une victime à déplorer ? Voilà pour le meilleur. Il est formidablement instructif. Car qu’est-ce qui a permis ce déblocage ? Qu’est-ce qui a convaincu Ronald Reagan que « l’Empire du mal » pouvait devenir un partenaire fiable, crédible et respectable, à tel point qu’on pouvait passer avec lui un accord de désarmement ? Avant toute chose, la démarche entreprise à partir de janvier 1986 par Mikhaïl Gorbatchev, qui se proposait d’éliminer « toutes les armes nucléaires d’ici l’an 2000 », à commencer par les Forces Nucléaires Intermédiaires qui se faisaient face en Europe (SS20, Pershing2). La tentative échoua de peu à Reykjavik mais aboutit fin 1987 au traité de Washington, premier vrai traité de désarmement nucléaire. L’air du temps en fut changé. La fin de la Guerre froide devint possible. Le mur de Berlin pouvait tomber sans coup férir. Telle est la grande vertu du désarmement nucléaire, en plus de ses effets immédiats : il change les consciences, il change l’esprit des relations internationales, il les apaise : « Tiens, l’Autre ne veut plus m’anéantir ! ». Il rend possible la coopération, et avec elle de multiples avancées en toutes sortes de domaines. L’effet positif du traité de Washington et de la chute du Mur de Berlin s’est prolongé dans les années 90. Si cet élan n’avait été progressivement étouffé (il serait intéressant de voir par qui, comment et pourquoi), le monde serait tout autre aujourd’hui. Quant aux exemples du pire, ils sont pléthore depuis 1945. La bombe atomique n’a pas empêché les guerres locales de faire plus de morts que la 1e guerre mondiale. Elle a eu elle-même quantité d’effets néfastes. Et depuis les années 2000, le retrait des Etats-Unis du traité ABM, leur retrait du traité FNI, leur retrait de l’Accord sur le nucléaire iranien, sont autant de mauvais coups portés à la maîtrise des armements. Mais après tout, quand nous aurons renoncé à l’arme nucléaire et que la Chine de par sa puissance aura pris le contrôle de notre économie et de notre vie au quotidien (reconnaissance faciale de Huawei, renonciation aux principes du droit international, notation « citoyenne », soumission des religions et ....) ce sera le paradis sur terre. C’est votre choix mais pas le mien. Tout ce qui précède devrait vous convaincre que ce n’est pas plus mon choix que le vôtre. Pour moi aussi, la Chine est un souci majeur. Son mode de surveillance totalitaire est effrayant, son économie polluante et agressive, son expansionnisme maritime inquiétant. Couplé à la pression démographique, il n’y a pas lieu de sous-estimer le danger. Mais c’est justement sur le terrain économique et sociétal qu’il faut lui résister, ou politique et moral, comme font les Chinois de Hong Kong. Or, à cet égard, nos armes nucléaires ne servent à rien. Sauf si l’on s’en sert pour amener la Chine à renoncer aux siennes... Sachant par ailleurs que le « communisme » chinois n’est pas plus éternel que ne le fut le soviétique. Cela dit, le problème est trop complexe pour être tranché en quelques mots, et je ne suis pas sinologue. Même si je suis conscient des difficultés de notre société (avec mon épouse nous avons 7 enfants...) et de préparer l’avenir. Et une de mes arrières grand-mères est morte en déportation parce que nos anciens ont été aveugles face au totalitarisme. J’ai pour ma part 5 enfants et 8 petits-enfants. C’est pour eux que je continue à me battre, à 75 ans, pour un monde meilleur, en paix, pas idéal, certes, mais vivable, libéré à la fois de la double menace nucléaire et radioactive, environnementale et climatique. Et des forces ou des régimes totalitaires, bien sûr. Et de la misère. Quant à mes ascendants : mon grand-père était dans les tranchées de Verdun, il en est revenu avec un œil en moins, des éclats de shrapnell en plus, et la conviction que la paix en Europe ne pourrait se construire qu’avec un rapprochement franco-allemand. C’est ce qui valut à ma mère d’entreprendre une licence d’allemand (interrompue par la guerre en 1939) et à moi de prendre l’allemand en première langue. Mon père, lui, a fait la « drôle de guerre » et ce n’était pas drôle. A la Libération, on lui a attribué une croix de guerre pour avoir transporté à dos d’homme, sous le feu ennemi, deux camarades blessés. Il l’a reçue sans savoir qui l’avait demandée pour lui. Peut-être son capitaine, peut-être l’un des blessés qui survécut ? L’autre mourut. Pour compléter la saga familiale, un parent éloigné était à Dien Bien Phu et resta longtemps prisonnier du Vietminh. Tout cela a marqué mon enfance et m’a sensibilisé au problème de la guerre, même si, né à Paris occupé par les Allemands, j’ai eu la chance insigne, en raison de ma date de naissance, d’échapper de peu à la guerre d’Algérie. Mais on peut être pour la paix sans pour autant être « pacifiste », si cela veut dire : partisan de la paix à n’importe quel prix. Vous avez raison : « l’esprit de Munich » est condamnable. « Nos anciens » auraient dû réagir bien plus tôt contre Hitler, y compris militairement. Par exemple lorsqu’il fit réoccuper par ses troupes la Rhénanie démilitarisée. Encore une fois, s’il vous plaît, ne vous méprenez pas sur nos motivations. Vous les trouverez résumées dans notre Proposition de Loi référendaire (Cf. PJ), qui a déjà reçu le soutien de plus de quarante députés et sénateurs, appartenant à une douzaine de groupes différents. 85 % des Français, je vous le rappelle, la soutiennent d’après l’IFOP. Ce n’est pas rien, tout de même. Notre précédente proposition de loi de même nature (sous François Hollande) avait reçu le soutien de 126 parlementaires avant que le processus électoral ne l’interrompe. Ce n’est pas une lubie. C’est une alternative sérieuse pour sortir par le haut de l’impasse actuelle. Une alternative à la fois démocratique, humaine, et conforme au droit international et à la Constitution française. Une stratégie qui mérite débat, qui pourrait propulser la France à la tête du désarmement mondial et qui nécessitera, si elle doit être mise en œuvre, le soutien de tout le monde, y compris des partisans actuels de la force de frappe qui devront faire profiter de leur expérience les négociateurs français. Notez enfin que je m’applique la règle du « faire confiance et vérifier » : je réponds longuement à vos questions sans savoir si vous aurez la patience de me lire jusqu’au bout ; je vous confie des choses personnelles sans vous connaître personnellement ; et je vous expose des arguments qui pourraient effrayer votre comité de rédaction, ou se retourner contre moi d’une manière ou d’une autre. Je ne vous cache rien de ce que j’ai dans ma besace. Bref, je vous fais confiance, tout en sachant que nos positions sont très éloignées l’une de l’autre. On a tenté de me convaincre que le débat avec « les nucléaristes » était stérile et voué à l’échec. En tant que partisan du dialogue, j’ai peine à le croire et je m’obstine à prendre le risque d’être ridiculisé, manipulé ou roulé dans la farine. Je suis même prêt à monter à Paris pour vous rencontrer, avant ou après que votre comité de rédaction ait pris sa décision. Dites-moi au moins quand celle-ci devrait être prise. Cordialement. Jean-Marie Matagne Voir en ligne : Passe d’armes avec la ministre des Armées
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