Il avait 95 ans et connu l’an dernier une alerte cardiaque. Mais il avait gardé une telle jeunesse d’esprit qu’on l’aurait cru presque immortel. On le souhaitait, pour lui, pour nous.
Sa longue vie est tellement riche de pensée et d’action qu’on ne saurait la résumer. Chacun de ceux qui l’ont connu pourra apporter son témoignage. Le mien est tout petit, mais suffisant pour me plonger dans l’émotion. Avant toute chose, c’était un homme d’une extraordinaire simplicité, d’un abord facile, d’une grande générosité alliée à une grande lucidité. Un optimiste impénitent. Un humaniste comme on n’en fait plus. Il respirait la bonté.
J’ai fait sa connaissance à Saintes, à l’occasion d’un Salon du Livre des droits de l’Homme et de la Solidarité où il était intervenu. Il a évidemment signé les pétitions que je lui présentais, pour l’abolition des armes nucléaires et pour la tenue en France d’un référendum sur cette question. Nous sommes restés en contact et chaque fois que je l’ai sollicité, il a répondu présent. Il n’avait pas Internet. Il fallait lui écrire. Mais s’il n’était pas en déplacement, le lendemain, après le passage du facteur, on était quasiment assuré de recevoir un coup de fil : « Bonjour, c’est Stéphane Hessel. Comment allez-vous ? »
C’est tout naturellement qu’il a soutenu l’an dernier, alors même que sa santé défaillait, ma grève de la faim et celle de Luc Dazy pour obtenir le référendum qui fournira peut-être au peuple français l’occasion d’abolir la menace mortelle des armes atomiques. Menace qu’il a dénoncée avec son ami Albert Jacquard, autre grand humaniste, dans leur écrit percutant « Exigez ! Un désarmement nucléaire total », paru en 2012. Pour soutenir notre action, il a écrit -Albert Jacquard aussi- au président de la République et il se serait volontiers joint à notre délégation si son état de santé ne l’en avait pas empêché. Avec lui, peut-être que Luc et moi aurions été reçus au lieu d’être arrêtés par la police à cinquante mètres de l’Elysée.
Stéphane a récidivé depuis, en signant, à côté de Noam Chomsky et de Mairead Maguire, la « Lettre ouverte au président de la République pour un référendum sur la participation de la France à l’abolition des armes nucléaires », devenue « l’Appel des 113 ».
Etrange, frappante coïncidence : c’est hier, 26 février 2013, qu’ACDN a rendu publique, dans un communiqué de presse et sur son site Internet, cette Lettre ouverte. Et c’est hier que j’ai posté la lettre avec la liste de ses signataires à l’adresse de François Hollande, Palais de l’Elysée. Quelques heures seulement avant le décès de Stéphane, survenu d’après son épouse Christiane dans la nuit d’hier à aujourd’hui... Comme si l’envoi de cette lettre était l’ultime message de Stéphane, son passage de témoin, son dernier geste, qui l’aurait autorisé à s’affranchir du poids du monde.
Les 113 ne sont plus que 112. Puissent-ils devenir des milliers, pour que l’appel de Stéphane soit enfin entendu de François. Oui, Stéphane, tu nous manqueras, mais sois sûr que nous porterons ta flamme. Hasta la victoria y la paz por la humanidad.
Saintes, le 27 février 2013
Jean-Marie Matagne