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DE NOUVEAU LA GUERRE FROIDE Publié le 21 avril 2014 Entre guerre et paix, entre OTAN et Russie, l’Europe retourne à la guerre froide. Pâques 2014, vision papale. Ce dimanche 20 avril 2014 à Rome, dans son message urbi et orbi, le pape François n’oublie aucun des foyers de guerres endémiques qui sévissent de l’Irak au Vénézuela, en passant par la Syrie, la Palestine, la Centrafrique. Il y réclame la paix, la réconciliation, la solidarité. Il rappelle aussi l’heureuse coïncidence qui veut que, cette année, catholiques et orthodoxes célèbrent Pâques en même temps. Et il prie le Seigneur "d’éclairer et d’inspirer des initiatives de pacification en Ukraine, pour que les parties intéressées, soutenues par la communauté internationale, entreprennent tout effort pour empêcher la violence et construire, dans un esprit d’unité et de dialogue, l’avenir du pays". Dieu et les "parties intéressées" auraient-ils entendu la prière du pape avant même qu’il ne la prononce ? C’est ce qu’on aurait pu croire. A tort, sans doute. Espoirs de paix Jeudi 17 avril, l’accord inespéré conclu à Genève entre Etats-Unis, Russie, Europe et Ukraine semblait devoir mettre un point final ou pour le moins de suspension aux semaines de tension extrême entraînée par la chute de Ianoukovitch, l’annexion de la Crimée à la Russie, l’agitation séparatiste russe en Ukraine oriental. Le monde pousse un soupir de soulagement. Dieu, peut-être, s’il existe, se frotte les mains. Vision russe Samedi 19 avril à Moscou, les agences de presse russes délivrent la transcription d’une émission préenregistrée de Vladimir Poutine, qui doit être diffusée le jour même sur une télévision d’Etat. Le président russe y déclare que "rien de devrait se mettre en travers d’une normalisation et d’une coopération entre la Russie et l’Occident". Cette normalisation "ne dépend pas de nous", dit-il, "ou pas seulement de nous. Elle dépend de nos partenaires." Optimiste, il va jusqu’à se féliciter de la nomination de Jens Stoltenburg, l’ancien Premier ministre norvégien, à la tête de l’OTAN. "Nous avons de bonnes relations, y compris personnelles. C’est une personne très sérieuse, responsable... Mais nous verrons comment il va développer les relations, à son nouveau poste", ajoute-t-il. Un étrange décalage sépare ces propos satisfaits de ceux tenus en Occident, plus précisément aux États-Unis, à peu près au même moment. Pour l’expliquer, il faut supposer que l’interview de Vladimir Poutine a été enregistrée dans la journée ou la soirée du vendredi 18 avril, au lendemain de l’accord quadripartite de Genève dont il a tout lieu d’être satisfait : cet accord ne l’oblige pas à grand-chose mais entérine de fait l’annexion de la Crimée, dont il n’est soufflé mot. A ce moment, Poutine croit sans doute avoir avalé la Crimée sans coup férir ni contrepartie, si ce n’est de remettre à plus tard l’avancée de ses pions dans l’Est de l’Ukraine. Il ignore ce que le ministre de la défense polonais en visite aux États-Unis, Tomasz Siemoniak, raconte au Washington Post, qui le publie en ligne vendredi peu avant 16 heures, heure locale, soit minuit à Moscou. Que dit donc Siemoniak ? En substance, que l’affaire ukrainienne est loin d’être terminée, et surtout, que la guerre froide va reprendre. Vision polonaise Vendredi 18 avril, donc, le ministre polonais de la défense rencontre au Pentagone le secrétaire américain à la défense, Chuck Hagel. A l’issue de la rencontre, ils tiennent une conférence de presse conjointe, dont le New York Times rendra compte. Puis Siemoniak se rend au siège du Washington Post. Là, il confie aux journalistes que "la Pologne et les Etats-Unis annonceront la semaine prochaine le déploiement de forces terrestres US en Pologne, comme élément d’une expansion de la présence de l’OTAN en Europe centrale et orientale, en réponse aux événements d’Ukraine." Siemoniak leur déclare que la décision a été prise au niveau politique et que les planificateurs militaires planchent maintenant sur les détails. La coopération sera également intensifiée en matière de défense aérienne, de forces spéciales, de cyberdéfense, et dans d’autres domaines. La Pologne jouera dans la région un rôle de leader, "sous patronage US", précise-t-il. Mais il dit aussi qu’une réponse immédiate à l’agression russe en Ukraine, certes importante, compte moins qu’une modification à long terme des postures de défense en Europe et en Amérique. Les Etats-Unis, après avoir annoncé qu’ils faisaient "pivoter" leur défense vers l’Asie, doivent la faire "re-pivoter" vers l’Europe - et les pays européens qui ont réduit leurs dépenses militaires doivent renverser la vapeur. "L’idée, encore récemment, était qu’il n’y avait plus de menaces en Europe et plus besoin d’une présence US en Europe", explique-t-il par l’intermédiaire d’un interprète. "Les événements montrent qu’une réorientation est indispensable, et que l’Europe, lorsqu’elle était stable et sûre, devait sa sécurité à la présence américaine." Quelle probabilité y-a-t-il qu’un tel retournement des dépenses militaires ait lieu ? Siemoniak répond que l’idée a reçu un large soutien lors d’une récente réunion des ministres européens de la défense. "A présent, ils vont se retourner vers leurs présidents, leurs premiers ministres et leurs ministres des finances, et c’est là que les difficultés commenceront", admet-il. "Mais la poussée est vraiment très forte." "La plus forte poussée ne vient même pas de l’annexion illégale de la Crimée, mais des mensonges flagrants du président Poutine à propos des actions conduites là-bas par les Russes, et de sa nouvelle doctrine déclarée qui permet à la Russie d’intervenir dans tout pays où des populations russophones seraient menacées aux yeux de la Russie. Cela représente un danger potentiel pour les nations baltes, qui sont membres de l’OTAN, et plus encore pour la Moldavie, le Belarus et les nations d’Asie centrale, qui ne le sont pas." Comme Obama, Siemoniak estime qu’il est encore trop tôt pour dire si l’accord conclu jeudi à Genève parviendra à réduire les tensions. Il pense que "l’opération spéciale de la Russie en Ukraine oriental ne s’est pas passée comme prévu" et que Poutine pourrait bien avoir décidé de jouer la partie à plus long terme. "Il dispose de divers instruments pour influer sur les événements d’Ukraine." Il gardera sous le coude l’option d’une franche incursion militaire, "mais les coûts politiques, militaires et financiers seraient gigantesques". Agé de 46 ans, le ministre de la défense polonais observe que, récemment encore, l’OTAN se demandait quelle pourrait bien être sa mission, à supposer qu’il en ait une, lorsque ses troupes auraient quitté l’Afghanistan. "Maintenant nous avons la réponse", conclut-il. Tel que. Les armées et les marchands de canons ayant horreur du vide, les "Afghans" vont pouvoir rempiler en Europe. Vision américaine Ce même 18 avril, sous le titre : "Les Etats-Unis planifient des exercices militaires en Europe de l’Est", le New York Times expose le point de vue américain, qui relativise les choses mais va tout de même dans le même sens que celui du ministre polonais. L’auteur de l’article, Michael R. Gordon, écrit : "Ces mesures font partie d’un effort plus large de l’OTAN pour renforcer la présence de l’Alliance en Europe de l’est, en réponse à la nouvelle assurance de la Russie dans la région. "On ne sait pas encore clairement combien de troupes supplémentaires seront déployées en Europe de l’Est par les Etats-Unis et les autres nations de l’OTAN à l’issue de ces exercices militaires, ni jusqu’à quel point ces mesures y réduiront les inquiétudes." Le journaliste souligne alors que "les exercices terrestres programmés par l’administration Obama sont extrêmement modestes. L’exercice en Pologne, qui doit être annoncé la semaine prochaine, impliquerait une compagnie de l’US Army, soit environ 150 soldats, et durerait une quinzaine de jours, d’après des officiels. L’exercice en Estonie serait du même ordre, selon un officiel occidental qui a voulu rester anonyme parce qu’il s’agissait de planification interne." Toutefois,"bien que les manoeuvres soient de courte durée, les Etats-Unis examinent d’autres moyens de maintenir une présence régulière de forces terrestres en Europe de l’Est, en faisant tourner des troupes et en y effectuant des entraînements. "Il y a toute une gamme de possibilités et de mesures que nous examinons, a déclaré le Secrétaire à la Défense Chuck Hagel, lors d’une conférence de presse commune avec le ministre de la défense de la Pologne, Tomasz Siemoniak. La rotation de l’entraînement et des manœuvres en font partie." "L’exercice programmé à la dimension d’une compagnie est loin du type de déploiement de l’OTAN que le ministre des affaires étrangères de Pologne, Radoslaw Sikorski, suggérait au cours de ce mois en déclarant à des journalistes qu’il espérait voir l’Alliance déployer en Pologne deux brigades de combat de chacune 5000 hommes." Le New York Times, qui évoque ensuite les déclarations de M. Siemionak au Washington Post rappelle aussi que, dans la semaine, le commandant suprême de l’OTAN sur le théâtre européen, le général Philip Mark Breedlove, a présenté aux membres de l’Alliance une gamme d’options de court, de moyen et de long terme, visant à renforcer sa posture militaire pour répliquer à l’annexion de la Crimée par la Russie. L’une de ces mesures serait de transférer en Europe la brigade de combat US de 4500 hommes actuellement stationnée à Fort Hood (Texas). S’il est vrai que l’administration Obama n’a pas encore approuvé publiquement cette mesure, le New York Times rappelle que les Etats-Unis ont déjà envoyé en Pologne 12 avions de chasse F-16 avec 200 personnels pour les servir, que cette semaine également, le Secrétaire général de l’OTAN, Anders Fogh Rasmussen, a annoncé que l’alliance allait faire voler davantage de patrouilles au-dessus de la Baltique et y déployer des bateaux alliés, tout en ouvrant la possibilité de déploiements supplémentaires, y compris terrestres. "Davantage de mesures seront prises, si nécessaire, dans les semaines et les mois à venir", a-t-il dit. Enfin, d’autres officiels de l’OTAN ont fait savoir qu’en dehors des États-Unis, d’autres nations membres de l’OTAN ont offert de fournir des troupes terrestres aux pays membres d’Europe de l’Est, d’ici la fin de l’année. Bref, le vœu des Polonais ou des autres pays baltes de voir l’OTAN engager des moyens militaires massifs chez eux et en Europe de l’Est est encore loin d’être pleinement satisfait, mais on en prend le chemin. Une page se tourne. Les Français le savent-ils ? Vision française En France, en ce week-end pascal, personne n’entend parler des mesures de l’OTAN. Le président de la République, le ministre des Affaires étrangères, sur le tarmac de Villacoublay, la presse, les médias, les hommes politiques et l’opinion célèbrent à l’unisson le retour, après dix mois de captivité, de nos quatre journalistes enlevés en Syrie par des groupes islamistes. Les services secrets français nous offrent leur libération sur un plateau. Notons à quel point les fêtes religieuses, les jours fériés ou les rendez-vous électoraux sont propices aux libérations d’otages français. Ainsi, le soir du 29 octobre 2013, à deux jours des congés de Toussaint, on apprenait la libération, après trois ans de captivité et d’angoisse, des quatre derniers otages français enlevés au Niger le 16 septembre 2010 sur le site uranifère d’Arlit exploité par AREVA, et encore retenus par Al Quaïda au Maghreb Islamique (AQMI). Cette fois-ci, le timing est encore plus serré. Heureux dénouements, pures coïncidences, bien entendu. Mais peut-on mettre au compte du hasard le fait que, de toute la semaine pascale, la presse et les médias français, qui n’ignoraient rien des mouvements de troupes russes et des coups de main des séparatistes russophiles à l’Est de l’Ukraine, ont superbement ignoré l’envoi de trois navires de guerre français, un record dans le genre, en Mer Noire où ils sont toujours présents ? On partage évidemment la joie des otages libérés et de leurs familles. Mais on aimerait aussi que leur courage et leur conscience professionnelle, mis au service d’une véritable information qu’ils sont allés chercher sur place à leurs risques et périls, s’étende à ceux de leurs collègues qui, demeurés à Paris, pourraient au moins lire et répercuter des informations essentielles, simplement parues dans la presse étrangère et disponibles sur Internet. Retour à l’ère primaire Manœuvres navales en Méditerranée orientale, en Mer Noire, en Mer Baltique, manœuvres terrestres en Pologne et en Estonie, aux frontières de la Russie, transferts de troupes : l’OTAN continue sa pression vers l’Est, qui n’a cessé depuis la chute du mur de Berlin en dépit des promesses faites au moment de la réunification allemande - c’est-à-dire de l’annexion de la RDA par la RFA (à chacun sa "petite annexion") - et malgré la dissolution du pacte de Varsovie, qui aurait dû entraîner celle de l’OTAN. Et que dire du "bouclier antimissiles" entourant la Russie, soi-disant destiné à protéger l’Europe des missiles iraniens ? Les "mensonges flagrants" de Poutine ont été puisés à bonne école. Il est loin désormais le temps où Hans M. Kristensen, le grand spécialiste des armements nucléaires à la Fédération des scientifiques américains (F.A.S.), pouvait annoncer que l’US Navy avait fini de débarrasser tous ses navires de surface de tous leurs missiles nucléaires tactiques : au total, depuis 1987, plus de 3700 missiles de croisière (SUBROC, ASROC, Terrier, Tomahawk...) répartis sur près de 240 navires. C’était le bon temps, le temps où l’on croyait encore la page de la guerre froide définitivement tournée. C’était en mars 2013. La Russie poutinienne n’est pas seule à battre les tambours de guerre. Qu’au moins on se le dise, pour mieux comprendre ce que l’Europe et le monde vont y perdre : la fin d’une espérance de paix. Le 21 avril 2014 Jean-Marie Matagne, ACDN, www.acdn.net
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