L’incident survenu le 8 septembre 2008 sur le réacteur 2 de Tricastin n’est toujours pas résolu. Il n’est pas le premier du genre. Il en rappelle d’autres, survenus à la centrale de Nogent-sur-Seine en 1998 et à celle de Dampierre en 2001. Tous plus inquiétants les uns que les autres. Dès le 12 septembre 2008, nous souhaitions soulever certaines questions. Nous avions sursis à leur publication, espérant que les plus inquiétantes recevraient une solution rapide. Il n’en a rien été. D’où les très vives inquiétudes exprimées dix jours plus tard par Olivier Cabanel. Nous les reproduisons après nos questions, en attendant les réponses de l’exploitant et des autorités de tutelle.
1 - L’incident du Tricastin diffère de celui survenu le 19 août 1998 à Nogent-sur-Seine en ce sens que le combustible du réacteur du Tricastin doit être du combustible moxé à 30%. C’est-à-dire que 30% du combustible n’est pas uniquement de l’oxyde d’uranium UO2 à Uranium enrichi, mais renferme un mixte d’oxyde de plutonium PuO2 et d’oxyde d’uranium appauvri UO2. Ne pas dire qu’il y a du plutonium est de la désinformation.
Question : Quelle est donc la composition des deux assemblages accrochés aux structures internes du coeur ?
2- Les assemblages "accrochés" sont-ils partiellement (ou complètement) sortis du coeur et de combien de mètres ? Des photos ont sûrement été prises. A Nogent, on voyait clairement l’inclinaison des assemblages par rapport à l’axe vertical. Les assemblages sont-ils restés dans l’axe, ce qui pourrait conforter l’hypothèse d’une déformation des assemblages, sont-ils légèrement inclinés, ce qui pourrait être dû à la détérioration des pions de centrage comme à Nogent (mais même dans ce cas, le gonflement des gaines peut jouer) ?
Question : Peut-on imaginer, comme dans le cas de l’incident de Nogent-sur-Seine (voir ci-dessous), que ces anomalies auraient pu empêcher la chute rapide (et provoquée) des "barres de contrôle", chute destinée à l’arrêt d’urgence de la réaction en chaîne, en cas d’emballement pouvant conduire à la fusion du coeur du réacteur, c’est-à-dire à "l’accident majeur" ?
3- L’incident survenu au démarrage de Dampierre, un 900 MW moxé, le 2 avril 2001 lors du rechargement a montré qu’il fallait que la position de chaque assemblage soit bien définie "de manière à homogénéiser la distribution de puissance du coeur du réacteur". Au cours du chargement on s’est aperçu au bout du 135ème assemblage que 113 d’entre eux avaient été décalés d’une place. Les calculs de configuration ont montré que d’autres configurations plus pénalisantes pourraient provoquer un début de réaction nucléaire dans la cuve du réacteur (voir les commentaires sur cet incident grave dans la Lettre de Stop Nogent et dans la Gazette Nucléaire ou sur Infonucleaire). Là non plus il n’a pas été question de plutonium dans les communiqués et c’est pourtant bien le Pu qui a justifié tous ces calculs.
Question : Le déchargement doit certainement aussi se faire d’une façon très programmée. Qu’en est-il de la stabilité neutronique du coeur du réacteur de Tricastin actuellement ?
4- Cela pourrait être plus grave que le seul relâchement des produits de fission et d’activation dans le circuit primaire...
Question : Qu’en serait-il de la stabilité neutronique du coeur si les deux assemblages se rompaient avec pour résultat des morceaux dans la cuve et un risque de détérioration des autres assemblages ?
Questions inspirées par des échanges avec Bella Belbéoch. Voir ci-dessous son article à propos de l’incident de Nogent-sur-Seine.
ACDN, le 12 septembre 2008
Post-Scriptum le 26 septembre :
Question additionnelle : Plutôt que d’utiliser les profits accumulés sur le dos de ses clients pour racheter British Energy et ses centrales nucléaires en fin de vie, EDF ne ferait-elle pas mieux de garantir la maintenance et la sécurité de ses propres centrales, et de préparer leur remplacement par des sources d’énergie renouvelables, saines et non dangereuses ?
Que s’est-il passé le 8 septembre dernier ?
Tricastin : vers une évacuation des populations ?
La centrale nucléaire du Tricastin, célèbre pour ses accidents, habilement présentés en incidents, est confrontée à un problème technique qu’elle essaye en vain de résoudre depuis quinze jours, sans solution pour l’instant.
Ce n’est plus une fiction, et cela ne se passe pas à Tchernobyl, mais en France, en Rhône-Alpes.
L’inimaginable va peut-être se produire : devant les difficultés rencontrées pour résoudre un problème technique dans la centrale du Tricastin, les autorités seraient en train d’envisager l’éventualité d’une évacuation temporaire.
Pour les habitants du secteur, déjà rudement secoués par les épisodes de cet été, ou on leur a appris bien trop tard que l’eau qu’ils buvaient était contaminée depuis longtemps, ce nouvel épisode ne tient plus de la farce,
mais du drame.
Que s’est-il passé le 8 septembre dernier ?
Lors d’une opération de renouvellement de combustible, lorsque le couvercle de la cuve du réacteur n° 2 a été soulevée, deux assemblages de combustible sont restés accrochés aux structures internes supérieures, et depuis quinze jours sont suspendus au-dessus des 155 autres assemblages qui constituent le cœur du réacteur. Ces assemblages pèsent chacun environ 800 kg, et menacent à tout instant de tomber. Ils pourraient alors se briser,
et les morceaux, s’ils se glissaient entre les autres assemblages, pourraient déclencher éventuellement une réaction nucléaire incontrôlée.
Un épouvantable accident nucléaire serait alors possible. Et même si cette réaction nucléaire ne se déclenchait pas, les opérations de nettoyage seraient quasi impossibles à réaliser. A moins de trouver des inconscients prêts à risquer à coup sûr leur vie pour tenter de sauver la situation.
Mais, depuis Tchernobyl, on connaît mieux les conséquences d’actes aussi téméraires. A ce moment, le réacteur pourrait être définitivement condamné, en attendant que les générations futures trouvent une solution.
Ce scénario catastrophe est réellement possible. Un accident du même type s’était produit, en 1999, à la centrale de Nogent-sur-Seine, à la différence qu’un seul assemblage était en cause. Et il avait fallu un mois
pour résoudre la situation. La situation du Tricastin est hautement plus dangereuse : il y a deux éléments en cause. En tentant de récupérer un seul des éléments, on peut provoquer la chute du second. Cerise sur le gâteau,
EDF reste muette sur la composition de ces éléments, et il est possible qu’ils soient « moxés », c’est-à-dire contenant du plutonium, ce qui aggraverait considérablement les risques pour les populations.
Le réseau « Sortir du nucléaire » vient d’écrire ce jour à l’autorité de sûreté nucléaire (ASN), ainsi qu’au président de la République et au Premier ministre pour demander la vérité sur l’accident en cours. Selon certaines informations émanant de milieux autorisés, la situation serait si problématique que l’évacuation des villages environnants est sérieusement envisagée. Après les accidents de cet été, les difficultés financières et
techniques rencontrées pour les deux EPR en cours de construction, et la lutte armée ouverte au Niger entre le pouvoir en place et 3 000 Touaregs bien armés, qui contestent l’extraction de minerai d’uranium sur leur
territoire, on voit qu’Areva et le gouvernement français sont dans une posture plus que délicate. Car comme disait un vieil ami africain : « on apprend l’utilité de ses fesses lorsque vient le moment de s’asseoir ».
Olivier Cabanel, le 22 septembre 2008
Incident à Nogent-sur-Seine : un assemblage de combustible fait de l’équilibre...
On ne risque pas de s’ennuyer avec nos réacteurs car il y a toujours du nouveau dans le nucléaire avec des incidents inédits. C’est ainsi qu’il y a eu une première en France à Nogent sur le réacteur n°1, avec seulement 5 incidents analogues répertoriés dans le monde, tous aux USA dont un sur un réacteur Westinghouse (Indian Point 3 ; 965 MWe, couplé au réseau en 1976).
Au cours de l’opération de déchargement qui vise à remplacer une partie du combustible usé par du combustible neuf et nécessite le transfert en piscine de tous les assemblages du coeur, un assemblage combustible usé est resté suspendu à la structure interne supérieure de la cuve, à 4 mètres au-dessus du coeur.
Ne tombera pas ? Tombera ? Se cassera s’il tombe -en libérant les produits radioactifs dans l’eau- ? En endommageant les autres assemblages ? Ne se cassera pas ? Le suspense a duré près d’un mois avant que l’assemblage ne soit décoincé et transféré dans la piscine. Un tel assemblage pèse plus de 750 kg et renferme plus de 600 kg d’oxyde d’uranium. Voilà un type de « projectile interne » qui n’avait pas été envisagé jusque là dans les analyses de sûreté !
Les lecteurs du Monde n’ont eu connaissance de l’incident que le 12 septembre puis ont eu droit à un entrefilet lorsque l’assemblage de combustible enfin libéré a été amené dans la piscine. Pourtant la direction EDF de la centrale de Nogent l’a annoncé dès le 20 août. Les autorités de sûreté ont publié un communiqué le 28 août. Nous le donnons ci-après :
NOGENT/SEINE (Aube). Fonctionnement normal du réacteur 2. Arrêt du réacteur 1 depuis le 13 août pour visite décennale et rechargement en combustible. Réacteur 1. Extraction intempestive d’un assemblage combustible hors du coeur lors de l’enlèvement des éléments internes supérieurs de la cuve. Le 19 août, alors que le réacteur était arrêté pour maintenance et remplacement de combustible, un assemblage combustible est resté accroché aux structures internes supérieures de la cuve au cours de leur enlèvement. La cuve du réacteur contient le combustible nucléaire, constitué de 193 assemblages combustibles. Ces assemblages sont maintenus dans la cuve par des structures dénommées "internes inférieurs" et "internes supérieurs". A l’issue de chaque cycle de fonctionnement, les assemblages combustibles sont déchargés puis entreposés dans la piscine du bâtiment du combustible. Leur déchargement impose, après l’ouverture de la cuve, l’enlèvement des structures internes supérieures. L’ensemble de ces opérations de manutention sont effectuées sous eau, afin d’assurer le refroidissement des assemblages combustibles et la protection radiologique des opérateurs. Le 19 août, alors qu’il procédait à la remontée progressive des internes supérieurs, l’exploitant a constaté qu’un assemblage combustible était accroché à ces matériels. Les opérations ont été arrêtées ; l’assemblage toujours intégralement sous eau est resté suspendu aux internes supérieurs. Il avait été extrait du coeur sur environ 4 mètres, sa longueur étant de près de 5 mètres. Aucune émission de produit radioactif n’a été détectée dans le bâtiment réacteur. L’exploitant a néanmoins fait procéder à l’évacuation totale de ce bâtiment et en a interdit l’accès. L’analyse par la DSIN, la DRIRE et l’IPSN des dispositions prévues par l’exploitant est en cours. Compte tenu de l’apparition d’une anomalie susceptible d’affecter l’intégrité d’un assemblage combustible, cet incident , initialement déclaré au niveau 0 de l’échelle INES a été reclassé au niveau 1 par l’Autorité de sûreté.
On notera que l’incident a été jugé assez sérieux pour que l’exploitant évacue le bâtiment réacteur dont l’accès a été interdit.
D’après les renseignements fournis par la direction de la centrale de Nogent, la structure interne supérieure comprend une plaque d’acier de 65 tonnes. Elle maintient les assemblages en place et a aussi une fonction antisismique. C’est sur cette plaque supérieure que l’assemblage est resté accroché. Pouvoir continuer à monter la plaque pour extraire complètement l’assemblage du coeur et ainsi déplacer l’assemblage sans qu’il tombe puis le dégager de la plaque et le transférer en piscine n’a pas été un problème facile à résoudre pour EDF en fonction du meilleur rapport sûreté/délai. Il a fallu concevoir et fabriquer un outil spécial, genre bras manipulé, pour bien maintenir l’assemblage. Les spécialistes EDF sont allés voir aux USA comment les Américains avaient fait. Finalement c’est la solution Framatome qui a été retenue et validée le 30 août par la DSIN.
Dans les documents EDF sur les centrales nucléaires du palier 1300 MW « Textes du rapport de sûreté. Édition publique » on peut lire à propos des assemblages combustibles que le cadre de l’embout supérieur de chaque assemblage comporte deux logements dans lesquels viennent s’insérer deux pions de centrage de la plaque supérieure « assurant ainsi un positionnement rigoureux de l’assemblage ». Selon les informations qui nous ont été fournies par la direction de la centrale de Nogent, l’anomalie se serait, en fait, produite des mois auparavant sans avoir été décelée puisque ce serait au cours de l’opération de chargement qu’un pion se serait tordu lors de l’abaissement de la plaque supérieure du coeur et cela n’aurait été vu qu’au déchargement, lorsque la remontée de la plaque supérieure a entraîné avec elle l’assemblage combustible. (Un pion de centrage est un cylindre en acier d’environ 2 cm de diamètre sur 8 à 10 cm de haut. Il est vraisemblable de penser que les deux pions étaient abîmés). On peut se poser quelques questions. L’assemblage était-il mal positionné (mauvais alignement) ? Si oui, pour quelles raisons ? Y a-t-il eu erreur de manipulation ? Y a-t-il eu blocage par un élément indésirable (une vis par exemple) ? D’après la DSIN interrogée le 10 octobre l’analyse de l’incident n’était pas terminée à cette date.
En plus d’avoir été un projectile potentiel au cours de l’incident, cet assemblage en équilibre révèle ainsi que si ces pions ont été tordus au chargement, le positionnement rigoureux de l’assemblage lors du réacteur en fonctionnement laissait plutôt à désirer, ce qui implique également celui du tube d’instrumentation qui lui est associé, y compris celui des 24 tube-guides des crayons de la grappe de contrôle qui « doit pouvoir être insérée rapidement en cas de besoin ». Si l’alignement n’est pas rigoureux, n’est-ce pas une cause de frottement qui pourrait empêcher la grappe de contrôle de tomber rapidement ? Ainsi il n’y a pas que l’intégrité de l’assemblage (avec contamination du primaire) qui risquait d’être affectée par un tel incident. Des pions tordus qui ont vraiment leur importance...
Bella Belbéoch