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Accident de Marcoule : Chiffres erronés, voire mensongers, sur la radioactivité des déchets de CENTRACO

par la CRIIRAD


Publié le 2 octobre 2011

Dans le domaine du nucléaire, les dossiers changent mais les constats restent les mêmes : sous-évaluation des risques du côté de l’exploitant et manque d’esprit
critique, voire complaisance, du côté des experts officiels.


Le 23 septembre dernier, la CRIIRAD interpellait les autorités en charge de la radioprotection et de
la sûreté nucléaire, Autorités de Sûreté Nucléaire et Ministères de la santé, de l’industrie et de
l’écologie. Elle dénonçait le maintien du secret sur les éléments clefs du dossier et la publication, par
l’IRSN, d’un chiffre étonnamment faible (63 000 Bq) pour l’activité des 4 tonnes de déchets métalliques présents dans le four au moment de l’explosion. La CRIIRAD jugeait cette évaluation « absolument incompatible » avec le débit de dose de 8,5 μSv/h qui aurait été relevé sur le corps de
la victime de l’explosion, M. José MARIN. L’information sur le débit de dose provenant d’une source officieuse, la CRIIRAD en était restée aux interrogations et à la demande de clarification.

Mercredi 28 septembre, via le site Internet du Dauphiné Libéré, la CRIIRAD prenait connaissance des
déclarations du Procureur de la République en charge de l’instruction, M. Robert GELLI, des déclarations qui confirmaient la mesure du débit de dose. La CRIIRAD a donc adressé hier au Procureur de la République, un courrier officiel soulignant qu’il est « impossible de mesurer un débit de dose aussi élevé si la contamination provient de déchets métalliques aussi faiblement contaminés que l’affirment l’exploitant et l’IRSN » et demandant que l’instruction intègre la réalisation d’une cartographie dosimétrique ainsi que des analysées en laboratoire afin d’établir l’activité réelle des 4 tonnes de déchets radioactifs.

Lire ci-dessous le courrier CRIIRAD du 29/09/11

La CRIIRAD vient de prendre connaissance de la note d’information que l’ASN a publié hier sur son
site Internet et qui indique qu’il « s’avère que le four de fusion contenait, au moment de l’accident,
une charge d’environ 4 tonnes de déchets pour une activité de 30 MBq et non de 63 KBq comme l’a
initialement indiqué l’exploitant »
. Cette nouvelle évaluation est donc 476 fois supérieure à celle qui
prévalait depuis le 12 septembre.

CETTE INFORMATION SOULEVE DE TRES LOURDES QUESTIONS :

1. Cette réévaluation aurait-elle été publiée si la CRIIRAD n’avait pas interpellé officiellement, par
lettre recommandée avec accusé de réception, les différentes autorités le 23 septembre dernier ?

2. Comment se fait-il que l’expert de l’Etat, l’Institut de Radioprotection et de Sûreté Nucléaire,
qui était présent sur le site et qui dispose de moyens sans commune mesure avec ceux de la CRIIRAD, ait repris sans réserve l’évaluation suspecte de l’exploitant ? Le chiffre de 63 KBq a été publié dès le 12 septembre par l’IRSN et sans aucun correctif ultérieur.

Cf. Communiqué de presse du 30 septembre 2011 ACCIDENT CENTRACO

3. Quel crédit apporter à l’auto-surveillance de l’exploitant, dispositif essentiel du contrôle de
l’installation CENTRACO ? De 63 kBq à 30 MBq, l’écart n’est pas de 10 ou 20% mais de près de 500
fois ! Et il est tout à fait improbable qu’il s’agisse d’un malheureux concours de circonstances, que
l’explosion concerne le seul lot de déchets mal évalué par l’exploitant. Rappelons que la CRIIRAD avait étudié le projet de création de l’installation CENTRACO et que l’une des principales critiques qu’elle avait formulée portait précisément sur le manque de fiabilité du système de contrôle de l’activité des déchets.

On est d’ailleurs en droit de se demander si la CENTRACO ne fonctionne pas en complète violation des prescriptions qui régissent son fonctionnement : violation des dispositions du décret d’autorisation qui limitent l’activité totale qu’elle est autorisée à détenir ; violation des limites de rejets de polluants radioactifs et chimiques dans l’atmosphère et dans le Rhône. Si les rejets réels sont 10 fois ou 100 fois supérieurs aux rejets déclarés, le dépassement des limites de rejets de
tritium ou d’émetteurs alpha serait par exemple avéré.

Dans tous les cas, l’instruction devra déterminer si la sous-évaluation de l’activité des déchets relève d’une action délibérée de l’exploitant ou d’un défaut de maîtrise des substances radioactives qu’il met en oeuvre. Quelle que soit l’explication, le constat est particulièrement préoccupant.

Afin d’avoir accès à toutes les pièces du dossier, les responsables de la CRIIRAD ont décidé d’inscrire le DEPOT D’UNE PLAINTE EN JUSTICE à l’ordre du jour du prochain conseil d’administration de l’association, programmé le 14 octobre prochain.

L’objectif sera de s’assurer que toutes les responsabilités sont bien recherchées et établies. L’explosion a provoqué la mort d’un employé. Un autre est toujours dans un état critique. Toute la lumière doit être faite sur les conditions de fonctionnement et de contrôle de l’installation.


Valence le 29 septembre 2011

- CRIIRAD
- 471 Avenue Victor Hugo
- 26000 VALENCE
- contact@criirad.org

- Monsieur Robert GELLI
- Procureur de la République
- Nouveau Palais de Justice
- Boulevard des Arènes
- 30000 NIMES

Objet : accident CENTRACO du 12/09/2011

Monsieur le Procureur,

Nous vous prions de bien vouloir trouver ci-joint copie du courrier adressé le 23 septembre dernier aux autorités en charge de la sûreté nucléaire et de la radioprotection 1 au sujet de l’explosion qui s’est produite le 12 septembre dernier à l’unité de fusion de déchets radioactifs
métalliques de l’installation CENTRACO.

Nous souhaitons ainsi obtenir communication des éléments sur lesquels les autorités et leur expert, l’IRSN, se sont basés pour diffuser dès le jour de l’explosion, des informations catégoriques sur l’absence de rejets dans l’atmosphère, sur la très faible activité des déchets
radioactifs métalliques en cours de fusion et sur l’absence de contamination environnementale.

Notre analyse du dossier révèle, en effet, d’importantes zones d’ombre ainsi que des affirmations improbables, voire totalement incohérentes.

Nous espérons que certaines des questions que nous posons pourront être reprises dans le cadre de l’instruction dont vous avez la charge.

Nous attirons tout spécialement votre attention sur le passage relatif à l’activité des 4 tonnes de métal présentes dans le four au moment de l’explosion. Dans son communiqué du 12 septembre 2011 (19h), l’IRSN affirme que l’activité des quelques 4 tonnes de déchets métalliques
présentes dans le four n’est que de 63 000 Bq. 2

L’information est d’abord présentée comme émanant de l’exploitant 3, puis reprise sans réserve par l’IRSN : « Il convient de noter que l’activité contenue dans le four était faible (63 kBq) et que les conséquences radiologiques qui auraient pu résulter du rejet de l’ensemble de cette activité auraient été extrêmement faibles et vraisemblablement non identifiables par les moyens de mesure sur le terrain. »

Ainsi que vous pourrez le constater à la lecture de notre courrier aux autorités, nous nous étonnons d’un chiffre aussi bas et aussi précis, et demandons communication de tous les éléments d’analyse disponibles pour la caractérisation radiologique du terme source. Nous indiquons que cette clarification est d’autant plus nécessaire que nous venions de prendre connaissance de
l’intervention, sur le blog du site « Rue89 », d’un internaute qui se présentait comme membre de l’unité de gendarmerie nationale qui est intervenue sur le site CENTRACO et qui précisait qu’une mesure de débit de dose effectuée au « pseudo » contact du corps de la victime atteignait la valeur de 8,5 μSv/h.

Nous avons eu confirmation hier de cette information : un article publié sur le site du Dauphiné
Libéré->www.ledauphine.com
se fait l’écho de vos déclarations à propos des particularités du
cercueil utilisé pour le corps de l’opérateur décédé, M. José Marin : « Les mesures ont laissé apparaître une très faible radioactivité (...) Des mesures ont révélé 8,5 microsieverts au niveau des pieds ».

Nous pouvons donc tenir pour acquis que le corps de la victime était contaminée et que le débit de dose atteignait 8,5 μSv/h sur une partie du corps, soit de l’ordre de 50 à 100 fois le niveau ambiant naturel attendu. Or, il nous paraît impossible de mesurer un débit de dose aussi élevé si la contamination provient de déchets métalliques aussi faiblement contaminés que l’affirment l’exploitant et l’IRSN.

Une activité totale de 63 kBq pour 4 tonnes de déchets correspond en effet à une activité massique moyenne de 15 à 16 Bq/kg. Certes, la contamination n’était probablement pas répartie de façon homogène dans les éléments métalliques mais, pour mesurer 8,5 μSv/h, il faudrait que la totalité des 63 000 Bq ait été concentrée sur moins de 1%, voire moins de 0,1% de la masse totale et que ce
soit précisément ces quelques kilogrammes qui aient été projetés sur les pieds de la victime ! Cette configuration totalement improbable ne suffirait d’ailleurs pas pour rendre compte d’un débit de dose de 8,5 μSv/h : encore faudrait-il vérifier la nature des radionucléides émetteurs bêta / gamma incriminés (un élément d’information tenu secret jusqu’à ce jour), de la masse et de la répartition du métal contaminé et les résultats des différentes mesures effectuées sur le corps de la victime.

Afin de lever ces interrogations, il est indispensable de procéder à une cartographie exhaustive des débits de dose sur l’ensemble du métal fondu ainsi qu’à des prélèvements suffisamment nombreux et représentatifs pour analyse en laboratoire (analyse complète et non pas des seuls
émetteurs bêta /gamma). Ces informations permettront d’évaluer l’activité réelle des 4 tonnes de déchets et de vérifier si ces résultats sont cohérents avec le chiffre publié par l’IRSN et avec les documents que la SOCODEI avait l’obligation d’établir et qui doivent rendre compte des contrôles subis par les déchets avant les opérations de fusion. Ces investigations doivent absolument être
intégrées dans l’instruction dont vous avez la charge.

Nous restons à votre entière disposition pour toute précision sur ce dossier et vous prions d’agréer, Monsieur le Procureur, l’expression de nos sincères salutations,

Pour la CRIIRAD, la directrice,

Corinne CASTANIER

— 


1 Autorité de Sûreté Nucléaire et ministres en charge de la Santé, de l’Ecologie et de l’Industrie

2 IRSN : Situation de l’installation CENTRACO située à Marcoule (30) - Point à 19h - Note d’information n°2
du 12/09/2011.

3 « Au moment de l’explosion, le four contenait, selon SOCODEI, 4 tonnes de déchets métalliques de très
faible activité (TFA) présentant une activité totale de 63 kBq de radionucléides émetteurs béta gamma. »