Un article publié sur le site de "The Times", daté du 10 février 2014 et diffusé sur le réseau "Abolition 2000" par une source anglophone d’ordinaire circonspecte, a pu nous faire croire pendant une heure ou deux que la Corée du Nord avait procédé à un nouvel essai nucléaire. Nous lui avons fait écho ici même. En fait, il s’agissait d’un hoax : un article inexplicablement publié sur le site du "Times", mais datant très probablement de février 2013, concernant le 3e essai nucléaire de la Corée du Nord, et "recyclé" pour son anniversaire avec une nouvelle date. Nous avons rapidement mis en garde les visiteurs du site d’ACDN. Toutefois, si nous avons pu contribuer à induire en erreur quelques-uns d’entre eux, nous les prions de bien vouloir nous excuser. La partie de l’article émanant d’ACDN demeurant pleinement valable, nous l’avons maintenue, en y ajoutant un scoop franco-français : un bel échantillon de langue de bois présidentielle.
D’après The Times, dans un article publié sur son site le 10 février à 19h 28 : "China joins Obama as world condemns North Korea’s new ‘uranium’ bomb test", la Corée du Nord aurait procédé "la nuit dernière", à 10h 57, heure de Pyongyang (2h 57, heure de Paris) à un nouvel essai atomique.
Post-Scriptum : 60 heures plus tard, le 13 février à 8h 29, heure de Paris, 7h 29, heure de Londres, l’article en question figurait toujours, inchangé, sur le site du Times.
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Fort heureusement, la planète a échappé pour l’instant à un nouvel essai nord-coréen. Il est à craindre en revanche qu’elle ne puisse échapper indéfiniment aux dangers de la prolifération nucléaire, que les cinq Etats dotés d’armes nucléaires et signataires du Traité de Non Prolifération (Etats-Unis, Russie, Royaume-Uni, France et Chine) encouragent en ne respectant pas leur propre engagement d’éliminer leurs armes nucléaires (article 6 du TNP).
En ce qui concerne la France, la Loi de Programmation Militaire (LPM) 2014-2019 prévoit de consacrer près de 4 milliards par an -au total, plus de 23 milliards- à développer de nouvelles armes nucléaires. Ces dépenses ne sont pas seulement inutiles, elles sont nuisibles à la sécurité de la France et du monde. Elles bafouent l’engagement pris par les Etats nucléaires membres du TNP et prouvent que la France n’a nulle intention de tenir sa parole.
L’attitude de la diplomatie française renforce cette perspective : non contente de ne pas se rendre en mars 2013 à la conférence d’Oslo où 127 Etats ont reconnu et dénoncé à l’unanimité les effets catastrophiques des armes nucléaires, elle a poussé les autres Etats nucléaires à en faire autant, et adopte la même attitude pour la conférence du Mexique qui va avoir lieu sur le même sujet dans quelques jours.
La langue de bois officielle ne saurait masquer cette triste réalité.
Ainsi, réagissant à la Lettre ouverte au Président de la République dont une délégation d’ACDN avait déposé à l’Elysée, le 9 mars 2013, plusieurs centaines d’exemplaires signés (notamment par Stéphane Hessel peu avant son décès et 112 autres personnalités associatives, politiques, artistiques ou religieuses françaises et étrangères), M. Pierre Besnard, Chef de Cabinet du Président de la République, nous écrivait le 3 avril 2013 :
"Le Président de la République a bien reçu votre nouvelle correspondance.
"A cet égard, le Chef de l’Etat tient à vous indiquer que l’action de la France en matière de lutte contre la prolifération, de maîtrise des armements et de désarmement, demeure guidée par des principes constants et conformes aux objectifs fixés par le Traité sur la non-prolifération des armes nucléaires.
"La France prendra donc toute sa part aux négociations et discussions sur le désarmement nucléaire, sans renoncer à notre force de dissuasion, élément essentiel à notre sécurité qui contribue à garantir la paix."
(Référence : PDR/SCP/E&A/A004134)
Si notre "force de dissuasion" est un "élément essentiel de notre sécurité" et si elle "contribue à garantir la paix", il serait inconséquent, voire criminel, de s’en dessaisir jamais. Dans ce cas, on voit mal quelle part la France pourrait prendre aux "négociations et discussions sur le désarmement nucléaire"... à moins qu’il ne s’agisse du désarmement des autres, et que sa part à elle consiste à conserver ses armes, paix et sécurité obligent ! Mais pourquoi les autres devraient-ils désarmer, si nous ne le devons pas ?
Le seul principe réellement suivi par la France avec une belle constance depuis plus d’un demi-siècle, c’est de conserver sa "force de frappe" contre vents et marées, quitte à en moduler le format par opportunité et pour faire croire qu’elle souhaite désarmer, tout en adaptant son discours "dissuasif" aux fluctuations externes (la fin de la guerre froide, par exemple) pour faire croire qu’elle en a et en aura toujours besoin. Ce principe n’est certainement pas "conforme aux objectifs fixés par le Traité sur la non-prolifération des armes nucléaires" ni à l’avis du 8 juillet 1996 de la Cour internationale de Justice affirmant qu’"il existe une obligation de poursuivre de bonne foi et de mener à terme des négociations conduisant au désarmement nucléaire dans tous ses aspects, sous un contrôle international strict et efficace."
Le double langage de la France sert d’alibi aux quatre autres Etats Dotés d’Armes Nucléaires (EDAN) pour n’entreprendre aucune négociation. Mais il incite aussi les Etats Non Dotés (ENDAN) à vouloir s’en procurer, et ceux qui en ont mais n’ont pas signé le TNP (Israel, l’Inde et le Pakistan) ou s’en sont retirés (la Corée du Nord) à conserver et développer leur arsenal. La "prolifération verticale" française, prétendument justifiée par les besoins de sa sécurité, renvoie aux calendes grecques le désarmement nucléaire et encourage la prolifération tant horizontale que verticale, laquelle a toutes les chances d’aboutir un jour ou l’autre à une catastrophe atomique.
Il serait temps que la France et les autres Etats officiellement dotés d’armes nucléaires s’interrogent sur leur propre politique nucléaire. La Conférence du Mexique pourrait leur en offrir l’occasion.
"La France prendra donc toute sa part aux négociations et discussions sur le désarmement nucléaire."
Dans ce cas, Monsieur le Président, depuis la Californie, rendez-vous au Mexique !
ACDN