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Le Rassemblement national veut "inscrire dans le marbre de la Constitution la force de dissuasion nucléaire"




Publié le 11 février 2023

Le groupe des députés "Rassemblement national" a fait enregistrer par la Présidence de l’Assemblée nationale, le 9 février 2023, une "PROPOSITION DE LOI CONSTITUTIONNELLE visant à protéger et à garantir la force de dissuasion nucléaire" (caractères de police d’origine).

Selon cette Proposition Parlementaire de Loi, la dissuasion nucléaire, "fruit de la volonté du Général de Gaulle de construire et de consolider l’indépendance et la souveraineté de la France au lendemain de la Première Guerre mondiale (sic), constitue la clé de voûte de notre défense nationale".

Quoique truffée d’assertions spécieuses, cette PPL n’en constitue pas moins un événement majeur, totalement inédit, dans l’histoire de la Ve République. Elle admet en effet pour la première fois que la force de frappe française, dite "de dissuasion", loin de faire l’objet d’un consensus national, risque d’être remise en cause. Et pour la préserver, elle entend proscrire constitutionnellement tout débat et toute consultation populaire.

Mais, voulant interdire le débat, le RN ne peut que le provoquer. Ce dont il convient de se réjouir, le soi-disant "consensus national" autour de la force de frappe n’ayant jamais pu se maintenir jusqu’à présent que grâce à l’omerta dont elle est entourée depuis des décennies.

Entamons donc le débat.

Certes, la "dissuasion nucléaire" est bien une clé de voûte. Mais pas celle de notre défense nationale. Seulement celle du système mondial d’intimidation atomique qui permet par exemple à un dictateur comme M. Poutine d’agresser, en s’abritant derrière ses propres armes nucléaires, un Etat, l’Ukraine, dont la Russie avait pourtant garanti la sécurité, la souveraineté, et l’intangibilité de ses frontières (Crimée et Donbass compris) par le Mémorandum de Budapest (cosigné le 5 décembre 1994 par l’Ukraine, la Russie, le Royaume-Uni et les Etats-Unis).

Nos armes nucléaires, pas plus que celles de l’OTAN, n’ont empêché M. Poutine d’envahir l’Ukraine, et ce n’est pas elles non plus qui l’intimideraient s’il jugeait nécessaire de nous agresser. Dans le pire des cas -celui où il frapperait la France avec une ou plusieurs de ses armes nucléaires- utiliser les nôtres contre lui -c’est-à-dire contre la population russe- ne ferait que provoquer une réplique massive qui entraînerait la destruction généralisée de la France et de ses habitants. La "dissuasion nucléaire" n’est pas seulement d’un coût exorbitant, elle est stupide et suicidaire.

Alors pourquoi cette Proposition de Loi rédigée, sans doute depuis plusieurs semaines, par Caroline Colombier, la députée RN de Charente, très présente et très active à l’Assemblée nationale (1), a-t-elle été déposée par le groupe RN aussi précipitamment, au point de laisser traîner des coquilles et une bourde monumentale confondant la Deuxième guerre mondiale avec la Première ?

Parce que le Rassemblement National a pris peur. A juste titre, d’ailleurs.

Peur des dangers qui menacent la menace propre à la dissuasion nucléaire. La force de frappe est en péril !

En effet, selon le RN, elle "fait l’objet de remises en cause et de contestations depuis de nombreuses années" :

1°) la contestation de "quelques responsables politiques qui ne voient plus l’intérêt d’entretenir un outil qui leur semble coûteux, voire désuet" ;

2°) "la récurrence du fantasme politico-militaire d’Europe de la défense dont l’une des résultantes se manifesterait dans un possible partage de cette capacité avec nos voisins européens" ;

3°) "un troisième danger… : celui de l’idéologie écologiste". Selon le RN, "dans la ligne de mire des lobbies et des associations militantes écologistes de gauche", il y a "évidemment le nucléaire civil, mais aussi le nucléaire militaire… Le nucléaire militaire n’est pas non plus à l’abri de telles attaques car l’écologie radicale et punitive (…), utilise les leviers de la peur et de l’action violente pour impressionner et influencer l’opinion et les décideurs publics."

Le dernier danger est en fait décisif.

Parmi les "leviers de la peur et de l’action violente" cherchant à "influencer l’opinion et les décideurs publics", il y a par exemple - mais cela, le Rassemblement national se garde d’en parler - la Proposition de Loi visant à organiser un référendum sur la participation de la France à l’abolition des armes nucléaires et radioactives, que l’Action des Citoyens pour le Désarmement Nucléaire a adressée avec ses vœux, puis le 6 février 2023, aux 925 parlementaires, députés RN compris, en les invitant à la signer. (2)

Ce danger induit chez le RN la pire de ses peurs : la peur du peuple souverain (quand il ne partage pas ses idées). En effet, les députés RN ont appris par le sondage IFOP-ACDN du 26 septembre 2022

-  que les Français se passeraient volontiers de toutes les armes nucléaires, force de frappe française comprise ;

-  qu’ils étaient, en juillet 2018, 85 % (dont 81 % d’électeurs de Marine Le Pen !) à vouloir que la France négocie avec les autres Etats dotés d’armes nucléaires l’élimination de toutes leurs armes ;

-  que, malgré la guerre en Ukraine, qui favorise la croyance -au demeurant parfaitement illusoire- en l’utilité de notre force de frappe, ils restent 71 % à préférer et vouloir être débarrassés de toutes les armes nucléaires ;

-  et que 70 % d’entre eux soutiendraient la susdite Proposition de Loi référendaire, si seulement 20% du Parlement la signent (185 députés et sénateurs sur 925). Ce qui, dans le contexte actuel, est tout à fait concevable puisque 126 parlementaires avaient déjà signé en 2017 une PPL similaire et qu’un bien plus grand nombre de députés et sénateurs devraient aujourd’hui pouvoir la signer, du moins peut-on l’imaginer.

Voilà pourquoi le Rassemblement national, loin de réclamer un référendum sur ce sujet comme il le fait sur les retraites, propose une loi constitutionnelle destinée au contraire à interdire, comme étant contraire à la Constitution, tout référendum susceptible de remettre en question l’existence de la force nucléaire dite "de dissuasion", même dans le cas où celle-ci serait abandonnée au profit d’un monde sans armes nucléaires, tel que l’exigent la Charte de l’ONU, le droit international, l’article 6 du Traité sur la Non-Prolifération (TNP) ratifié par la France, et par voie de conséquence, la Constitution française du 4 octobre 1958 elle-même, dont l’article 5 fait justement du Président de la République « le garant des traités ».

La constitution de la Ve République présente en effet une lacune majeure qui n’a pas échappé au Rassemblement national : elle dit bien que le Président de la République est le chef des armées (article 15), mais elle ne dit pas que cela l’autorise à commettre ni à menacer de commettre, au nom de la nation, un crime contre l’humanité - ce que serait l’usage d’une arme nucléaire. Tout en elle, à commencer par la devise de la République : "Liberté, égalité, fraternité", invite à penser le contraire. Le RN voudrait donc combler cette pseudo-lacune, que cela plaise ou non au peuple français. Il veut l’empêcher de se prononcer sur ce sujet en le lui interdisant constitutionnellement. Trouvera-t-il des alliés pour voter avec lui ce déni de démocratie et ce mépris des droits de l’homme ? On ne peut pas l’exclure.

Une seule alternative.

Voici l’article unique de la Proposition de Loi N° 825 présentée par le Rassemblement national :

"Article unique : Le second alinéa de l’article 5 de la Constitution du 4 octobre 1958 est complété par une phrase ainsi rédigée : « À ce titre, est placée sous son autorité la force de dissuasion nucléaire dont l’organisation, la gestion et la mise en condition d’emploi ne peuvent faire l’objet d’aucun abandon, d’aucune cession ni d’aucun partage »."

Et voici les deux articles de la Proposition de Loi émise par l’Action des Citoyens pour le Désarmement Nucléaire et soumise à la signature de tous les membres du Parlement, députés RN compris, qui tous devraient pouvoir s’exprimer là-dessus en leur âme et conscience :

"Article 1. La France participe à l’abolition des armes nucléaires et radioactives et engage avec l’ensemble des États concernés des négociations visant à établir, ratifier et appliquer un traité d’interdiction et d’élimination complète des armes nucléaires et radioactives, sous un contrôle mutuel et international strict et efficace."

"Article 2. L’article 1 ci-dessus est soumis à l’approbation des Français par référendum, en application de l’Article 11, alinéa 3, de la Constitution."

Entre les deux il faut choisir

- Ou bien la France, l’Europe et la planète seront maintenues sous la menace permanente des armes nucléaires jusqu’à ce que la menace finisse par se réaliser,

- Ou bien, à l’initiative d’au moins un Etat doté d’armes nucléaires, qui pourrait être la France ("pays des droits de l’Homme"), des négociations seront ouvertes, poursuivies de bonne foi, et déboucheront sur un monde enfin libéré des armes nucléaires et radioactives, un monde capable de s’unir pour relever les immenses défis que sont, entre autres, le dérèglement climatique et ses effets catastrophiques, l’extinction des espèces, la crise énergétique, les pandémies ou la pénurie alimentaire.

Il n’est même pas exclu que l’ouverture de telles négociations ouvre la porte vers une issue diplomatique à la guerre en Ukraine.

Nous faisons juges de cette question les députés, les sénateurs, et tous les citoyens, et les invitons à agir en conséquence.

Les Français doivent pouvoir dire si oui ou non ils veulent continuer à financer par leurs impôts une "force de dissuasion" qui ne les protège ni des terroristes, ni de la guerre, et ferait d’eux, si celle-ci devait s’étendre au-delà de l’Ukraine, à la fois les complices et les victimes de massacres monstrueux, et peut-être même de la fin de l’humanité. Peut-être préfèrent-ils que cette "force de frappe" soit mise sur une table de négociations comme un moyen d’obtenir des autres Etats nucléaires qu’ils renoncent, eux aussi, à leurs armes nucléaires. Ce serait en fait son seul usage intelligent et rationnel. Si nos armes nucléaires servaient au moins à cela, nous n’aurions pas dépensé complètement en vain entre 300 et 400 milliards d’Euros.

A rebours de la Proposition de Loi du RN, qui "inscrit dans le marbre" et pérennise la terreur atomique, le référendum qu’ACDN appelle de ses voeux propose une voie pour en sortir. Il ne demande pas que la France désarme unilatéralement. Il demande simplement qu’elle respecte enfin sa parole et amène les autres Etats nucléaires (parties ou non au TNP) à négocier avec elle les modalités et le rythme d’un désarmement multilatéral progressif, universel et contrôlé. C’est, ni plus ni moins, ce qu’exigent le droit international et les Nations Unies.

Nous appelons instamment les journalistes à porter le débat sur la place publique.

Pour ACDN
Jean-Marie Matagne, président

contact@acdn.net
06 73 50 76 61

**
(1) Vice-présidente du groupe RN de l’Assemblée nationale, membre de la commission de la Défense nationale et des Forces armées, seule représentante de l’opposition au sein de la délégation parlementaire au renseignement (DPR).

(2)

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Lettre adressée le 6 février 2023 à chaque députée, semblable à celles envoyées aux députés, sénateurs et sénatrices.

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Les Français et la participation de la France à l’abolition des armes nucléaires et radioactives (Sondage IFOP-ACDN, septembre2022)

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Proposition de Loi référendaire

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