Chers amis socialistes,
Il est vrai que Nicolas Sarkozy n’est pas franchement rassurant aux commandes de la force de frappe. L’Action des Citoyens pour le Désarmement Nucléaire a fait, pour sa part, tout ce qu’elle pouvait pour mettre en garde les électeurs. (1)
A tort ou à raison, nous espérions que Ségolène Royal serait, si l’occasion s’en présentait, moins tentée que Nicolas Sarkozy d’« appuyer sur le bouton nucléaire », et que l’occasion s’en présenterait d’autant moins qu’elle n’avait pas fait sienne, contrairement à Nicolas Sarkozy, l’absurde révision de la doctrine nucléaire française, telle que Jacques Chirac l’a exposée dans son discours du 19 janvier 2006. Il n’en reste pas moins INADMISSIBLE que la faculté de détruire des millions de congénères soit donnée à un être humain, QUEL QU’IL SOIT, et sous quelque prétexte que ce soit ! Si cet être est réellement humain, il n’acceptera jamais d’en massacrer d’autres par centaines de milliers ou par millions. Or, c’est ce qu’exige de lui, par principe, la dissuasion nucléaire. S’il s’interdit de mettre à exécution cette menace même sous la pression des événements, il n’est plus crédible. Dans ce cas, autant se priver PAR AVANCE de la possibilité de le faire. Donc renoncer à la force de frappe - de préférence en la négociant contre un désarmement nucléaire universel et contrôlé.
Depuis plus d’un an, nous avons vainement tenté d’attirer l’attention des responsables et des « présidentiables » socialistes, en particulier de Ségolène Royal, sur cet aspect capital de la fonction présidentielle. Permettez-nous donc d’insister : vous ne pouvez faire l’économie d’une réflexion et d’un changement RADICAL de politique en ce domaine.
Rester accroché à la doctrine nucléaire française, même sans aller jusqu’à sa version du 19 janvier 2006, ce n’est pas seulement manquer à la parole de la France en tant que signataire du TNP, ce n’est pas seulement manquer d’humanité et de simple bon sens, c’est manquer de logique, de cohérence, de réalisme, bref, de rationalité. C’est ne rien comprendre à l’évolution du monde. Ne pas comprendre qu’il n’y a plus désormais qu’une seule alternative réaliste à la prolifération nucléaire : le désarmement nucléaire intégral promis par l’article VI du TNP. Même des acteurs américains de la guerre froide comme Henri Kissinger, George Shultz ou Edward Perry, l’ont compris.
Si vous n’en êtes pas suffisamment convaincus, alors dites-vous bien qu’au-delà même des conflits de personnes dont vous faites étalage, il est une contradiction dont vous ne semblez pas avoir pris conscience et qui pourtant se paye plus qu’aucune autre sur le plan électoral : comment les électeurs pourraient-ils croire à la sincérité des idées socialistes, à l’humanité et à la « fibre sociale » des candidats socialistes, si leur parti continue à vouloir consacrer des dizaines de milliards d’Euros à la fabrication d’armes de destruction massive ?
Un déplacement d’à peine plus de 3% des voix aurait suffi à Ségolène Royal pour emporter l’élection. Ce déplacement aurait pu se produire si les électeurs avaient eu le sentiment qu’avec la candidate socialiste, on allait enfin pouvoir construire UN AUTRE MONDE, un monde fondé sur AUTRE CHOSE que les rapports de force, l’intimidation, la menace d’anéantissement mutuel, le gigantesque gâchis des dépenses d’armement, la violence - et finalement, la guerre. C’est ainsi que Ségolène Royal, malgré ses efforts méritoires, a perdu l’élection. On ne peut ménager à la fois la chèvre et le chou. Défendre l’environnement et dépenser des sommes faramineuses pour moderniser les moyens de le détruire. Douter des vertus du nucléaire quand il sert à produire de l’électricité, et ne pas en douter quand il produit des bombes. Dans le genre écolo, la candidate socialiste était plutôt crédible. Elle l’était nettement moins dans le genre gestionnaire, alors qu’elle aurait pu tirer parti des dividendes considérables du désarmement. Dans le genre humaniste, elle l’était encore moins. Et dans le genre dissuadeur, plus du tout : il ne suffit pas d’entonner la Marseillaise pour avoir l’air d’un tueur. Ainsi, Ségolène Royal aura été la première victime de la force de frappe. Souhaitons que l’hécatombe s’arrête là. (2)
Chers amis socialistes,
Il est encore temps de vous ressaisir. Il vous est encore possible de faire savoir publiquement que vous voulez
l’abolition des armes nucléaires sur toute la planète
une initiative diplomatique de la France en ce sens, accompagnée d’un geste significatif : la suspension de ses programmes de prolifération verticale (4e SNLE, M51, ASMP-A, TNO, TNA, LMJ...)
une consultation des Français sur le désarmement nucléaire, car le peuple français doit pouvoir s’informer, réfléchir, débattre, et enfin décider s’il veut, oui ou non, qu’un seul homme puisse provoquer en son nom et avec ses subsides une kyrielle de crimes contre l’humanité.
Les candidats socialistes doivent au moins s’engager, à titre personnel, à voter contre toute loi de programmation militaire, toute loi de finance, tout budget militaire qui poursuivrait ou prévoirait le développement de nouvelles armes nucléaires par la France.
Vous êtes libres de prendre ces engagements : vous n’êtes plus tenus par le « programme socialiste » ni par la proposition 93 du « Pacte présidentiel », qui sont devenus AMENDABLES, pour ne pas dire CADUCS, puisque le peuple français n’en a pas voulu.
A défaut d’avoir ce courage politique, qui pourra croire encore à vos bons sentiments ? Sachez-le : nous sommes nombreux à ne pas croire qu’en préparant la guerre on s’assure la paix, à ne plus vouloir de ce monde d’assassins en acte ou en puissance. Nombreux à ne plus vouloir voter pour les hommes ou les femmes politiques ni vouloir financer (à raison de 1,63 Euro par suffrage exprimé) les partis qui s’en font les complices. Alors distinguez-vous d’eux. Manifestez que vous avez l’intelligence du cœur - ou à défaut, celle de votre intérêt bien compris. Vous courez à la débâcle électorale. Vous n’avez donc rien à perdre et tout à gagner à nous convaincre que vous aussi, « vous avez changé »... dans le bon sens : celui de la paix, du désarmement général, de l’abolition des armes nucléaires.
Le 18 mai 2007,
Jean-Marie Matagne, président d’ACDN
(1) Cf. nos communiqués des 19, 24 et 28 avril et la
DECLARATION DE VIENNE du 1er mai 2007
"Sur le TNP, la stratégie nucléaire française et l’élection présidentielle", à laquelle plusieurs dizaines de responsables d’ONG françaises et étrangères ont apporté leur soutien.
(2) Quelques rappels :
Sarkozy, Royal, et la bombe atomique
SCOOP : A la veille du 1er tour, Nicolas Sarkozy écrit à ACDN pour préciser son programme de défense
LETTRE OUVERTE aux candidates et candidats à la présidence de la République et au PC Jupiter
Invalidation des candidatures de Ségolène Royal, Nicolas Sarkozy et Jean-Marie Le Pen ?
François Bayrou veut-il vraiment le désarmement nucléaire ?
Ségolène Royal réprouve la prolifération horizontale mais approuve la prolifération verticale
Et sur le fond :