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New York, capitale du désarmement nucléaire ?

par Jean-Marie Matagne


Publié le 1er mai 2010

Du 3 au 28 mai, le siège des Nations Unies héberge la 8e Conférence de révision quinquennale du Traité de Non Prolifération nucléaire (TNP). C’est peut-être là que se joue la survie de l’humanité.


New York, le 1er mai 2010.

Il est 6 heures du matin ici, et midi à Paris. Comme chacun voit midi à sa porte, je ne serais pas autrement étonné d’apprendre à mon retour en France que Paris et son "microcosme" (comme disait l’ancien premier ministre Raymond Barre) ne vibrent pas aux mêmes préoccupations que New York et son "grand machin" (comme disait le général de Gaulle en visant l’ONU). Il est vrai que les Français -entendons par là ceux qui dirigent le pays ou qui "font l’opinion"- n’ont jamais, jusqu’à présent, prêté grande attention à ce que disent ou font les Nations Unies. Quand le sujet concerne le désarmement nucléaire, c’est encore pire. Ce n’est plus de la distraction, c’est du "divertissement" délibéré - au sens pascalien du terme, bien entendu. "Circulez, y a rien à voir" : nous avons eu encore récemment, sur une télévision d’Etat, de beaux exemples de cette désinformation par le mutisme. Espérons que cette fois, restes d’Obamania obligent, il en ira un peu différemment.

Ici, les choses sérieuses n’ont pas encore commencé.

Et pourtant, si, elles ont commencé : hier vendredi, à 6 heures du soir, minuit heure de Paris. La Conférence officielle débutera lundi, mais une autre, organisée par et pour les ONG, la précède. Il s’agit de la "Conférence internationale pour un monde dénucléarisé, pacifique, juste et soutenable".

Un millier de participants (30 dollars l’inscription) se pressaient dans la grande salle de "Riverside Church" (au nord-ouest de Manhattan), mise à la disposition des organisateurs par l’Eglise Méthodiste Unifiée, pour la première des quatre "Plénières" prévues. Aujourd’hui auront lieu les trois autres, entrecoupées de séances en ateliers.

Nous avons d’abord entendu, magnifiquement lu par une noire Américaine, Vinie Burrows, le discours que Martin Luther King avait prononcé dans cette même église à la réception de son prix Nobel de la Paix. Un texte stimulant où MLK dénonçait les trois plaies de son époque : la discrimination raciale, l’injustice sociale, la guerre. Un texte d’actualité, en somme.

Puis six orateurs se sont succédé à la tribune. Terumi Tanaka, représentant les "hibakusha" (les survivants des bombes d’Hiroshima et de Nagasaki) et lui-même hibakusha, a apporté leur témoignage en japonais -heureusement traduit en anglais- et lancé un appel à l’abolition des armes nucléaires. Comme en 2005 pour la précédente Conférence de révision du TNP, qui s’était terminée par un fiasco.

Ibrahim Ramey, un responsable religieux musulman noir américain, a évoqué "le rêve de Martin Luther King et le nôtre" avec des accents pacifistes d’une grande vigueur.

Zia Mian, militant pacifiste et chercheur universitaire, nous a invités à "relever le défi des armes nucléaires, du capitalisme et du changement climatique". Pour lui, se battre pour abolir les armes nucléaires, c’est bien mais ça ne suffit pas. Le budget que l’administration Obama propose de leur consacrer en 2011 s’élèvera à 50 milliards de dollars. C’est énorme mais ça ne représente encore que 10 % du budget de l’armement américain. Supprimer les armes nucléaires n’empêchera pas les autres armes d’exister et de faire des ravages.

En fait, c’est la structure même de ce monde capitaliste, où une toute petite élite décide de tout pour tout le monde, monopolise les richesses, le pouvoir, et massacre la nature en même temps que les hommes, qu’il faut remettre en cause et qu’il faudrait parvenir à renverser. Mais la tâche est énorme et les choses n’avancent pas, c’est le moins qu’on puisse dire. Zia Mian a d’ailleurs commencé par lire des extraits du discours prononcé en 1961, devant l’Assemblée Générale de l’ONU, par le président John F. Kennedy. Dans ce discours d’une étonnante lucidité, JFK appelait déjà à l’élimination des armes nucléaires... (On notera que c’était avant la crise des missiles de Cuba, qui allait se produire en octobre 1962 et le convaincre davantage encore que les deux "Grands" nucléaires devaient absolument s’engager dans un processus de désarmement.) Mais JFK allait encore plus loin et terminait son discours en appelant de ses voeux un monde libéré de toutes les armes. Ainsi, non seulement Barack Obama est loin d’être le premier président des Etats-Unis à parler désarmement, mais encore son objectif est bien modeste... à plus forte raison quand on le confronte aux actes et aux choix financiers de son administration.

Après un intermède musical bienvenu en français, dû à la chanteuse féministe et pacifiste Catherine Lecocq, les trois orateurs suivants ont poursuivi dans cette veine où les raisons d’espérer s’entremêlent aux raisons de s’inquiéter, pour ne pas dire de désespérer.

John Burroughs, principal organisateur et maître des cérémonies, a pris à son tour la parole pour mettre en évidence à la fois "les risques et les chances" que représente la conférence de révision du TNP pour l’élimination des armes nucléaires. Ne nous faisons pas d’illusions mais agissons comme si.

Natalia Mironova, venue de Russie, a décrit dans un anglais un peu heurté mais avec beaucoup de force et de précision "les défis complexes" que nous lance "l’héritage nucléaire", héritage qu’elle ne limite pas, loin s’en faut, au seul héritage des armes nucléaires. Eh bien, les amis, ce n’est pas triste. J’y reviendrai.

Enfin Thomas Magnusson, président du Bureau International de la Paix (BIP ou IPB), a souligné à quel point les mots sont dévoyés, dans un monde livré aux lobbies militaro-industriels et où, par exemple, le prix Nobel de la Paix -attribué il y a tout juste cent ans, en 1910, au BIP- est remis au président d’une puissance engagée dans plusieurs guerres ou encore au directeur d’une Agence de l’ONU, l’AIEA, qui contribue à défendre le statu quo nucléaire. Thomas Magnusson, militant pacifiste depuis 1968 (il a connu alors la prison comme objecteur de conscience), n’en a pas moins conclu en appelant de ses voeux "un monde libéré des armes nucléaires".

Formons des voeux, en effet. En voici un qui a des chances de se réaliser, d’après la météo : il fait grand beau temps sur New York... Pourvu que ça dure ! Parce que demain, on va marcher dans les rues de Manhattan. Devinez pourquoi !