Les dirigeants japonais ont tranché : dans deux mois, le Japon sera sorti du nucléaire.
En France, en revanche, on ne bouge pas. Il y a toujours des gens "responsables" pour affirmer qu’il serait "irresponsable" de vouloir sortir, et donc pour décréter qu’"on ne peut pas sortir" du nucléaire avant 20 ans ( ) ; 25-30 ans ( ) ; 30-40 ans ( ) ; 65 ans, voire jamais ( ) ; jamais, au grand jamais ( ). (*)
C’est donc que les responsables japonais sont des irresponsables. Il aura suffi d’une vulgaire petite catastrophe ayant contaminé peu ou prou 80 % de leur territoire pour les convaincre qu’on peut, en un an, sortir du nucléaire.
"Ah, les cons !", serait-on tenté de dire des dirigeants japonais, s’il fallait se mettre au niveau de langue de la campagne présidentielle française.
Mais est-on bien sûr que les cons soient au Japon ? N’y en aurait-il pas aussi quelques-uns parmi nous ? Même parmi nos dirigeants ? Sait-on jamais ? Par décence, nous n’avons pas mis de nom pour illustrer les positions de nos hommes et femmes politiques. Ce serait indélicat envers des personnes si avisées. En tout cas, pour certaines d’entre elles, de réelle bonne volonté. Juste un peu intimidées par le discours dominant.
Et si les Japonais avaient raison ? D’autant que le Japon, c’est sûr et démontré, est loin de n’être peuplé que de zombies.
Voici ce qu’écrivait en 2003 notre amie d’Hiroshima, Satomi Oba, si gentille, si lucide, si courageuse, à propos des "Tremblements de terre" :
"D’après la théorie tectonique, le Japon repose sur d’énormes plaques qui se déplacent très lentement. Les îles japonaises sont situées sur les bords de quatre de ces plaques : eurasienne, nord-américaine, philippine et pacifique. Les experts en sismologie nous mettent aujourd’hui en garde contre la possibilité d’énormes tremblements de terre causés dans un proche avenir par la dynamique des plaques. Le gouvernement a beau proclamer que les réacteurs nucléaires et leurs installations sont conçus à l’épreuve des séismes, de sérieuses questions demeurent : dans le cas d’un énorme tremblement de terre, personne ne peut garantir leur sûreté."
Et plus loin :
"Encore une fois, il n’y a aucun moyen de prévoir avec exactitude un tremblement de terre, et le gouvernement sous-estime les risques sismiques au regard des centrales et de leur capacité de résistance. Pourtant, de plus en plus d’experts et de responsables politiques expriment leurs inquiétudes. Par exemple, Mitsuhei Murata, l’ancien ambassadeur du Japon en Suisse, appelle à la fermeture immédiate de la centrale de Hamaoka, et à l’abandon de la politique nucléaire du Japon. De même, plusieurs conseils municipaux ont adopté des délibérations demandant la fermeture de la centrale de Hamaoka."
Lisez donc in extenso ce rapport intitulé "JAPON : SORTIR DE LA FOLIE NUCLEAIRE". Elle l’avait rédigé pour la conférence de Linz ; je n’y étais pas, je n’en retrouve pas la trace, mais ce devait être en été 2003, puisque je l’ai traduit de l’anglais grâce à l’entremise d’une autre militante, américaine celle-là , Sally Light (les abolitionnistes forment une belle chaîne humaine), et placé sur le site d’ACDN le 5 novembre 2003. Donc, 7 ans et demi avant Fukushima.
Mais comme dit l’autre : "nul n’est prophète en son pays". Les lanceurs d’alerte ont beau risquer leur santé, leur liberté et même parfois leur vie (Mordechai Vanunu par exemple, toujours privé du droit d’émigrer d’Israël, après avoir purgé 18 ans de prison), ils ont rarement bonne presse. Si seulement les Japonais avaient entendu les cris d’alarme - et de raison - de Satomi Oba ou de Mitsuhei Murata ! Ils auraient fermé leurs centrales à temps. Ils auraient, certes, connu le malheur du tsunami, le 11 mars 2011. Mais pas celui de la radioactivité.
Nous parlons du nucléaire civil, bien entendu, celui qui produit de l’électricité.
Car pour ce qui est du nucléaire militaire, il suffirait de 5 secondes à un chef d’Etat "irresponsable" pour dire : "Jamais je n’utiliserai de bombe atomique". Et vlan ! On pourrait mettre les bombes au rebut. Personne ne s’en plaindrait, sauf les nucléocrates, bien entendu.
L’horreur et l’absurdité des armes nucléaires, elle les connaissait aussi, Satomi Oba, notre amie d’Hiroshima, si gentille, si lucide et si courageuse, aujourd’hui décédée d’avoir épuisé son coeur à débarrasser la planète du nucléaire civil et militaire.
Le malheur pour nous, Français, c’est que le nucléaire civil, chez nous, sert à justifier le nucléaire militaire. A la différence du Japon qui, ayant subi deux fois l’horreur de la bombe A, s’est interdit de posséder des armes nucléaires. Après une catastrophe civile comme celle de Fukushima, les dirigeants japonais peuvent donc renoncer au nucléaire civil sans remettre en cause le militaire. Nos dirigeants, eux, ne le peuvent pas. Tel est le secret des centrales et de leurs tours fumantes : elles sont là pour permettre à nos SNLE pleins de missiles mortels de marauder au fond des océans, et à nos dirigeants de parader au Conseil de sécurité de l’ONU.
"Ah, les cons !"
Jean-Marie Matagne, président d’ACDN
qui signe et qui assume à titre personnel
(*) Pour compléter l’analyse et les cases vides, voir :
Nucléaire : François Hollande, le triple C.
Nucléaire civil : le Président de la République répond au Président d’ACDN
Société nucléaire, société insécuritaire
Accord PS-EELV : la soupe et les lentilles seront radioactives
"Trente, peut-être quarante" (à 30’’)