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La Grande Bretagne boycotte les pourparlers de l’ONU sur le désarmement nucléaire multilatéral

Par Rebecca Johnson


Publié le 27 février 2016

Rébecca Johnson nous offre ci-dessous une claire description des enjeux du Groupe de travail de l’ONU sur le désarmement nucléaire multilatéral, qui s’est réuni à Genève pour la première fois du 22 au 27 février 2016, par décision de la dernière Assemblée générale de l’ONU prise en décembre 2015.

Ce que Rébecca Johnson, sujet de Sa Majesté, dit à propos de l’attitude du gouvernement britannique vaut également pour le gouvernement français, qui a pratiqué la même politique de la chaise vide, avec encore plus de détermination puisque les gouvernements britannique et américain s’étaient au moins et exceptionnellement déplacés à Vienne pour la 3e Conférence sur l’impact des armes nucléaires en décembre 2014.

Quant au double discours et à l’hypocrisie que Rébecca reproche à son gouvernement, la démonstration n’est plus à faire en ce qui concerne la France.

ACDN n’a pu participer directement aux travaux de Genève, mais y a contribué en écrivant au président du Groupe de travail, l’ambassadeur Thani Thongphakdi.


Malgré l’opposition croissante au programme Trident, le gouvernement britannique a refusé de se joindre cette semaine aux pourparlers que l’ONU a ouverts sur les mesures pratiques à prendre pour construire une sécurité internationale sans armes nucléaires.

Quand des dizaines de milliers de personnes manifestent à Londres contre le Trident, le gouvernement conservateur réaffirme son soutien au désarmement nucléaire – pourvu qu’il soit multilatéral et non unilatéral. Alors pourquoi a-t-il refusé de participer au groupe de travail sur « les négociations à entreprendre pour un désarmement nucléaire multilatéral », que l’ONU a ouvert à tous (gouvernements et société civile) ce 22 février, au Palais des Nations de Genève ?


Un sous-marin Trident remorqué vers la base de Faslane en Ecosse. Photo : Rebecca Johnson

Le président de ces pourparlers multilatéraux, l’ambassadeur de Thaïlande Thaini Thongphakdi, s’est assuré que le Royaume Uni –comme tous les Etats membres de l’ONU- avait bien été invité et tenu informé. Hillary Benn, secrétaire aux affaires étrangères dans le Cabinet fantôme du parti travailliste, a demandé en janvier si le Royaume Uni serait présent à la réunion de ce groupe de travail organisée par l’ONU. D’après le Journal Officiel, le secrétaire d’Etat aux Affaires étrangères Philip Hammond a répondu que le Royaume Uni n’y participerait pas, parce qu’il pensait que « des résultats positifs ne peuvent être atteints qu’à travers une approche consensuelle prenant en compte l’environnement sécuritaire dans sa globalité ».
Certes, l’idée d’une approche consensuelle pourrait sembler désirable. Malheureusement, elle ne sert qu’à désigner en langage diplomatique codé des pourparlers soumis à des règles de procédure qui donnent à tous les Etats participants ou à certains d’entre eux un droit de veto sur tout ce qui ne leur convient pas, à commencer par les ordres du jour. Cela s’est avéré être le baiser de la mort, c’est ce qui a conduit dans l’impasse les questions de désarmement depuis des décennies. Donc, en réalité, en appeler à « une approche consensuelle » n’est qu’un moyen diplomatique de jeter une question aux oubliettes.

L’argument opposé par Hammond à ces pourparlers nucléaires multilatéraux est particulièrement hypocrite de la part du Royaume-Uni, qui a bruyamment critiqué le blocage, par le Pakistan et d’autres pays, du processus consensuel à la Conférence du Désarmement (CD) depuis 20 ans.

Car lorsqu’on en vient aux armes nucléaires, le Royaume-Uni tient à garder son veto. A la différence de la CD qui ne comprend que 65 pays membres, le groupe de travail multilatéral est ouvert à la totalité des 193 Etats membres de l’ONU. En tant que corps constitué par l’Assemblée générale, son processus de décision doit prendre en compte les vues de tous ceux qui ont choisi d’y participer, mais ne donne de droit de veto à aucun d’eux.

Je faisais partie des experts à qui le groupe de travail a donné la parole le premier et le deuxième jour de ses travaux, à côté de juristes du Comité international de la Croix Rouge et de chercheurs de l’UNIDIR (Institut de Recherche de l’ONU sur le Désarmement) et de l’ILPI (Institut norvégien de droit et de politique internationale).

Pour commencer, on nous avait demandé d’identifier « les mesures légales concrètes et efficaces, les normes et obligations juridiques qui seront nécessaires pour atteindre et conserver un monde sans armes nucléaires ».

Nous convînmes entre nous d’examiner cinq approches juridiques et diplomatiques du désarmement nucléaire susceptibles de répondre aux perspectives envisagées et aux questions soulevées par de nombreux diplomates et participants internationaux. Les deux groupes d’Etats qui contribuèrent le plus aux débats par des déclarations et des questions furent d’une part les Etats sous parapluie nucléaire (OTAN, Japon et Australie) et d’autre part un éventail de gouvernements d’Etats non-nucléaires situés sur plusieurs continents.

Etape par étape

On a d’abord examiné l’approche « étape par étape », la plus familière des approches en matière de contrôle des armes conventionnelles. En s’intéressant aux réductions et aux étapes mises en œuvre par les Etats nucléaires de manière unilatérale, bilatérale, plurilatérale (comme le P5 par exemple, c’est-à-dire les 5 membres permanents du Conseil de sécurité de l’ONU) et multilatérale, on a pu identifier différentes sortes d’étapes ou de blocs constitués au cours des ans depuis 1945, dont les succès les plus significatifs ont été le TNP en 1968, le CTBT ou TICE (Traité d’Interdiction Complète des Essais) en 1996, et diverses mesures de réduction bilatérales russo-américaines (dont, dernier en date, le Nouveau Traité START de 2011). Tout en fustigeant le désarmement nucléaire unilatéral à l’usage de leur opinion domestique, les gouvernements britanniques qui se sont succédé n’ont pas traîné à faire valoir internationalement les mesures unilatérales qu’ils ont prises au début des années 90 en se débarrassent de centaines d’armes à courte portée et d’armes du champ de bataille, devenues dangereusement obsolètes.

Des plans et des étapes utiles avaient été acceptés par les Etats parties en 1995, 2000 et 2010, avec des engagements pris par les 5 Etats nucléaires membres du TNP (Chine, France, Russie, Royaume-Uni, Etats-Unis), mais pas par les quatre Etats extérieurs au traité (Inde, Israël, Corée du Nord et Pakistan), qui tendent à proclamer que le TNP est discriminatoire et ne s’applique pas à eux. Dans tous les cas, les progrès obtenus par cette méthode « étape par étape » ont été d’une lenteur décevante et insuffisants. Peu a été fait pour réduire les tendances à la prolifération horizontale et verticale, encore moins pour ouvrir la voie au désarmement nucléaire. Personne n’a suggéré que de telles étapes devraient être abandonnées, mais le point de vu le plus répandu fut que des mesures qualitatives internationales et juridiques étaient nécessaires pour créer un contexte plus favorable à la mise en oeuvre pratique et politique de tels blocs de progression dans un avenir rapproché.

Le traité d’interdiction nucléaire

La plus récente proposition déposée sur la table est un traité d’interdiction des armes nucléaires (TIAN) qui viendrait s’ajouter au droit humanitaire international en interdisant l’emploi des armes nucléaires, leur déploiement, leur fabrication, et exigerait leur élimination complète. L’approche d’interdiction nucléaire est vue comme une étape intermédiaire de court terme qui accélérerait le désarmement nucléaire en clarifiant le statut juridique des armes nucléaires, renforcerait les normes et les outils de prévention d’explosions intentionnelles ou accidentelles et inclurait pour la première fois des Etats qui ne sont pas parties au TNP. Elle tient compte des obstacles qui ont entravé le désarmement nucléaire jusqu’à présent, spécialement le statut accordé aux armes nucléaires par leurs possesseurs et leurs alliés – pas seulement l’OTAN, mais aussi les alliés des Etats-Unis que sont le Japon, la Corée du Sud et l’Australie, ainsi que les alliés de la Russie au Belarus et dans des régions comme la Crimée.

En interdisant des activités telles que l’usage, le déploiement, le transport, le stationnement et le stockage des armes nucléaires, le rôle majeur d’un traité d’interdiction nucléaire serait de créer les conditions réglementaires et juridiques d’un monde sans armes nucléaires. Elaboré dans le contexte du droit humanitaire international plutôt que dans celui du contrôle des armements, il pourrait être conclu rapidement, sans les lenteurs des négociations techniques qu’impliquent l’approbation et la vérification des mesures spécifiques liées à l’élimination des arsenaux. Ces négociations pourraient avoir lieu à un stade ultérieur.

S’inspirant des traités de désarmement humanitaire qui ont successivement banni les mines antipersonnel et les armes à sous-munitions, ce traité permet de contourner l’opposition de certains Etats nucléaires tout en s’opposant lui-même aux doctrines de dissuasion et d’emploi qui amènent le remplacement des Trident et autres problèmes de modernisation et de prolifération. Le TIAN est prôné comme prochaine étape du désarmement multilatéral par un nombre croissant de gouvernements et aussi par la Campagne Internationale pour l’Abolition des Armes Nucléaires (ICAN), un réseau de plus de 400 organisations de la société civile situées dans 98 pays, parmi lesquelles la CND, les Maires pour la Paix et de nombreux groupes religieux.

L’accord-cadre sur des instruments séparés se renforçant mutuellement

Le groupe de travail a également examiné une convention-cadre, ou ce que le Secrétaire général de l’ONU désignait en 2008 comme un « accord-cadre sur des instruments séparés se renforçant mutuellement ». Cet accord juridiquement contraignant d’interdiction et d’élimination des armes nucléaires pourrait prendre plusieurs formes. S’inspirant d’expériences antérieures comme la Convention sur les armes inhumaines de 1981, un « traité directeur » serait d’abord négocié, comprenant le coeur des interdictions et des obligations, avec ou sans dates-butoir. Il serait suivi de négociations chargées de forger les détails, tels que la séquence et le calendrier des mesures spécifiques de vérification ou les questions institutionnelles. Ces négociations permettraient d’augmenter considérablement l’accord-cadre avec des protocoles additionnels ou des accords séparés « se renforçant mutuellement ».

Comme le traité d’interdiction nucléaire, l’approche « accord-cadre » a le mérite de commencer à renforcer les interdits du droit international, même si la réticence de certains Etats nucléaires signifie qu’il ne sera pas possible de décider de tout une fois pour toutes. Puisque le « traité directeur » établissant le cadre serait négocié en premier, la démarche et la portée dudit traité seraient tout-à-fait similaires à celles du traité d’interdiction. Les deux approches ne sont donc pas mutuellement exclusives ; elles combinent des mesures générales et des mesures complémentaires pour interdire et éliminer les armes nucléaires. Elles peuvent être négociées et entrer en vigueur relativement vite, ce qui aurait un effet positif sur le comportement des Etats avant même que certains d’entre eux aient pris la décision de signer. En clarifiant le statut juridique de l’emploi et de la possession des armes nucléaires, ces deux approches renforceraient le régime de non-prolifération existant et contribueraient à réduire la valeur attribuée aux armes nucléaires, y compris le rôle qui leur est assigné dans les doctrines de dissuasion et de sécurité.

Les zones exemptes d’armes nucléaires

Deux autres approches ont également été examinées, bien que des progrès sur ces voies ne soient guère attendus à court terme. Etant donné le soutien apporté par le TNP aux Zones Exemptes d’Armes nucléaires (ZEAN) et les appels récurrents des pays arabes à l’instauration d’une zone exempte d’armes nucléaires et autres armes de destruction massive au Moyen-Orient, une piste pourrait consister à étendre les zones effectivement exemptes d’armes nucléaires. Tout l’hémisphère sud et certains pays du nord sont déjà dans des zones exemptes d’armes nucléaires, sous le régime de cinq traités : ceux de Tlatelolco (couvrant l’Amérique latine et les Caraïbes), Rarotonga (Pacifique sud), Pelindaba (Afrique), Bangkok (Asie du sud-est) and Semipalatinsk (Asie centrale). Comme au Moyen-Orient, diverses tentatives ont été faites phttp://www.acdn.net/spip/ecrire/?exec=article_edit&new=ouiour négocier la création de nouvelles ZEAN, en Asie du nord-est, afin d’impliquer (au moins) les deux Corées et le Japon, et en Europe. La présence dans ces trois régions d’au moins un Etat ou une alliance militaire disposant d’armes nucléaires a jusqu’à présent empêché tout progrès dans cette direction, et il est peu probable que cela change sans un mouvement international significatif, comme par exemple un traité d’interdiction.

La convention d’élimination complète des armes nucléaires

Pour finir, il y a l’objectif depuis longtemps formulé d’une convention d’élimination complète des armes nucléaires (CECAN) (NWC en anglais). Une telle convention est reconnue comme nécessaire pour assurer l’interdiction permanente et l’élimination complète des armes nucléaires. Mais elle ne peut être négociée qu’avec la coopération et l’accord des Etats nucléaires. Au vu des réalités géopolitiques actuelles, la CECAN n’est pas prête à faire l’objet de négociations avant longtemps.
Etant donné que les gouvernements britanniques successifs ont professé leur enthousiasme pour le désarmement multilatéral –particulièrement lorsqu’ils refusaient de prendre des mesures unilatérales comme d’envoyer à la casse les Trident- on diplomates pu s’attendre à ce que nos diplomates participent au groupe de travail de l’ONU, maintenant qu’il est effectivement à l’œuvre. Comme les pourparlers intenses de cette semaine l’ont montré, ils n’auraient pas eu à être d’accord sur tout. Et si un accord partiel ou un traité est négocié, personne ne pourra les obliger à le signer ou à l’exécuter – sauf les électeurs britanniques bien entendu.


Jeremy Corbyn, Manifestation pour en finir avec le Trident, Londres, janvier 2015.

Le boycott du Royaume-Uni soulève des questions fondamentales. Puisque le gouvernement de David Cameron est sacrément résolu à mettre en oeuvre le remplacement des Trident et refuse également de participer aux pourparlers multilatéraux de l’ONU sur le désarmement nucléaire, qu’allons-nous faire pour respecter nos obligations de non-prolifération et de désarmement ?
Comment pourrait-on prendre au sérieux la Grande Bretagne quand son gouvernement gaspille des millions pour un système d’armes obsolète que la plupart des pays sont déterminés à interdire ?

Rébecca Johnson, le 26 février 2016

Avec l’aimable autorisation de Rébecca Johnson.
Traduction : Jean-Marie Matagne. Copyright ACDN.

Voir aussi : Lettre d’ACDN au président du Groupe de travail, S.E. Thani Thongphakdi.