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Référendum sur l’abolition des armes nucléaires : Objection et Réponse.




Publié le 24 mai 2016

Le 22 mars 2016, douze députés français ont adressé aux 925 membres du Parlement français, députés et sénateurs, une lettre les invitant à signer avec eux une proposition de loi organisant un référendum sur la participation de la France à l’abolition des armes nucléaires.

Texte de la proposition

Sur proposition d’un cinquième des parlementaires et après recueil par voie électronique du soutien d’un dixième des électeurs inscrits, un référendum sera organisé dans les meilleurs délais, dans l’ensemble du territoire français, sur la question suivante :

« Voulez-vous que la France négocie et ratifie avec l’ensemble des Etats concernés un traité d’interdiction et d’élimination complète des armes nucléaires, sous un contrôle mutuel et international strict et efficace ? »

***

Cette initiative dont tout opposant aux armes nucléaires ne peut que se réjouir a toutefois suscité l’objection suivante :

« La mise en œuvre d’un référendum ne permettra pas – car c’est l’objectif – que la France « négocie et ratifie avec l’ensemble des Etats concernés » un instrument juridique contraignant ; tout simplement car « les Etats concernés » ne le souhaiteront pas. La France pourra alors se justifier d’une action (obligatoirement non réalisable) et poursuivre dans le même temps sa politique de dissuasion nucléaire sous couvert de volonté de se protéger de ces autres Etats qui ne veulent pas négocier… »

Que vaut donc l’argument ?

Il revient à dire : la France ne doit pas demander aux autres Etats nucléaires de négocier avec elle un désarmement multilatéral, car ils refuseront de le faire, ce qui lui permettra de ne pas négocier son propre désarmement, dont elle ne veut pas non plus.

A ce compte, partant du principe que « les autres ne voudront pas » et que « la France ne le veut pas non plus », il devient inutile de demander quoi que ce soit à aucun des Etats nucléaires, France comprise : personne ne voulant négocier, ne demandons rien à personne. Il n’y a plus qu’à faire une croix définitive sur le désarmement multilatéral.

C’est précisément pour débloquer cette situation figée que se mobilisent dans le monde entier le réseau international des parlementaires pour le désarmement nucléaire (PNND) et la Campagne internationale pour le désarmement nucléaire (ICAN). C’est aussi ce que réclament le Secrétaire général de l’ONU, un nombre sans cesse croissant d’Etats non dotés d’armes nucléaires (ENDAN), des milliers de villes membres des Maires pour la Paix, des centaines d’ONG membres du réseau Abolition 2000, et d’innombrables personnalités, sans parler des millions de citoyens du monde.

Mais comment peut-on savoir par avance et mieux que les Etats concernés ce qu’ils souhaiteront ou ne souhaiteront pas ? Comment peut-on prédire que, si jamais la France réclame un désarmement multilatéral négocié, son action sera « obligatoirement non réalisable », c’est-à-dire nécessairement vouée à l’échec… « par la faute des autres » ? Pourquoi ce fatalisme ? Pourquoi ce renoncement, cette défaite annoncée avant même d’avoir livré bataille ? Ce défaitisme est-il fondé ? Pour le savoir, reprenons les choses méthodiquement.

Qui sont donc les « Etats concernés » et que peut-on attendre d’eux ?

« L’instrument juridique » dont il est ici question, c’est « un traité d’interdiction et d’élimination complète des armes nucléaires ». Il comprendra donc deux volets : un volet « interdiction », un volet « élimination », et par conséquent aussi deux « collèges » d’Etats concernés. Peu importe la forme juridique que peuvent prendre ces volets - l’élimination pouvant fort bien faire l’objet d’une convention négociée séparément, à laquelle un article d’une seule phrase dans le traité pourrait suffire à renvoyer.

Le premier volet, l’interdiction, concernera tous les Etats membres de l’ONU. Or, à cet égard, on ne peut certainement pas pronostiquer que « les Etats concernés » « ne souhaiteront pas » l’établissement d’un « instrument juridique contraignant ». Ils sont d’ores et déjà plus de 130 à en avoir exprimé le souhait et même la volonté, par leurs votes lors de la dernière Assemblée générale de l’ONU en décembre 2015. Pour entreprendre de mettre au point un traité d’interdiction des armes nucléaires, ces Etats n’ont pas besoin de l’autorisation des Etats nucléaires ou de leurs protégés. Et puisqu’ils se sont d’ores et déjà interdit ces armes dans le cadre du TNP, ils devraient pouvoir s’entendre assez facilement sur les clauses d’un traité spécifique d’interdiction. Après quoi les Etats nucléaires auraient tout intérêt à les rejoindre, s’ils ne veulent pas se mettre au ban de l’humanité... et de l’ONU qui, rappelons-le, a condamné avec la plus grande vigueur, dès 1961, l’emploi des armes nucléaires, « crime contre l’Humanité et la civilisation » (Résolution 1653 XVI du 24 novembre 1961).

Le second volet, l’élimination complète des armes nucléaires, concerne lui aussi tous les Etats, dans la mesure où la menace des armes nucléaires, étant universelle, pèse aussi sur eux. Ils ont donc parfaitement fondés à exiger que les Etats nucléaires s’en défassent. C’est ce qu’affirme la résolution adoptée par l’AG de l’ONU le 7 décembre 2015, créant un Groupe de travail à composition non limitée (OEWG) sur « les moyens de faire avancer les négociations multilatérales sur le désarmement nucléaire, aux fins de l’avènement définitif d’un monde sans armes nucléaires ». Elle rappelle « que le succès des négociations sur le désarmement présente un intérêt vital pour tous les peuples du monde et que tous les Etats ont le droit de participer à ces négociations ».

Cependant, l’élimination des armes nucléaires est avant tout l’obligation et la tâche spécifique des Etats qui en disposent et qui, par conséquent, devront négocier entre eux le rythme, le calendrier et la procédure de leur élimination, sous un "contrôle mutuel et international strict et efficace".

S’y ajoutent les 5 Etats qui hébergent chez eux des armes dont ils ne sont pas possesseurs : Belgique, Pays-Bas, Allemagne, Italie et Turquie.

Actuellement, les Etats nucléaires sont 9 (peut-être 10. - Cf. L’Arabie saoudite, 10e puissance nucléaire ? http://www.acdn.net/spip/spip.php?article974). Parmi ces Etats, il y a deux sous-catégories : les Etats parties au TNP (USA, Russie, Royaume-Uni, France et Chine), qui sont tenus par l’article 6 du TNP de négocier l’élimination de leurs arsenaux nucléaires, et ceux qui n’en font pas partie (Israël, Inde et Pakistan) ou plus partie (Corée du Nord) et qui n’y sont pas tenus.

De tous ces Etats nucléaires pris globalement, on peut sans doute, au vu de leurs politiques actuelles ou passées, présumer (à défaut de l’affirmer péremptoirement) qu’ils ne souhaiteront pas abandonner leurs armes nucléaires.

Mais :

1°) Malgré un évident dénominateur commun – la foi en ces armes comme instruments de puissance - les motifs pour lesquels les Etats nucléaires résistent à leur propre désarmement sont variables d’un pays à l’autre et sont plus ou moins forts. Ainsi, les motifs d’Israël, qui sont très forts, ne sont pas ceux du régime nord-coréen (avec lequel Israël partage toutefois un sentiment d’« assiégé »), ni de la Russie ou des Etats-Unis, ni de l’Inde et du Pakistan (en conflit à propos du Cachemire). Ni ceux de la France. Celle-ci est, avec le Royaume-Uni, le pays qui devrait avoir le moins de motifs de conserver ses armes, puisque celles-ci sont dites purement « dissuasives » et que ses frontières et son existence ne sont guère menacées. Mais elle se comporte comme si c’était elle qui en avait le plus besoin, et c’est cela qu’il faut changer.

2°) Ces motifs de non-désarmement n’ont rien d’immuable. Ainsi, le Royaume-Uni, qui était prêt en 2008, du temps de Gordon Brown, à prendre la tête d’un processus d’abolition (Cf. Gordon Brown : London is ready to work for total nuclear disarmament), ne l’est plus aujourd’hui. Mais il pourrait fort bien l’être à nouveau demain, si par exemple le chef du Parti travailliste, Jeremy Corbyn, accédait au pouvoir, ou si le « Brexit » entraînait de la part de l’Ecosse l’exigence de fermer la seule base nucléaire dont dispose le Royaume-Uni, celle de Faslane, située en territoire écossais. (Cf. Le « petit » problème nucléaire de la Grande-Bretagne).

3°) Ce n’est pas parce que des Etats ne souhaitent pas désarmer qu’il faut s’incliner devant ce vœu et les laisser perpétuer ad vitam aeternam le statu quo. Au contraire, c’est une bonne raison d’exiger qu’ils désarment. C’est ce que pourrait faire la France… pourvu qu’elle-même le veuille ! Et c’est justement ce que le référendum proposé par les 12 députés français devrait pouvoir permettre, si bien sûr une majorité d’électeurs répond positivement à la question posée comme on peut raisonnablement l’espérer à partir du sondage de l’IFOP.

En effet, pour qu’un traité d’interdiction et d’élimination complète des armes nucléaires commence à être négocié, il n’est pas nécessaire que tous les Etats adhèrent d’emblée au projet ni qu’ils viennent tous d’emblée à la table de négociations. Pour amorcer le processus, il faut et il suffit
- en ce qui concerne l’interdiction, qu’un nombre suffisamment important d’Etats décide d’y participer – c’est déjà le cas depuis 2015 ;
- en ce qui concerne l’élimination des armes existantes, qu’au moins 2 EDAN acceptent de se réunir pour commencer à en discuter – par exemple la France et le Royaume-Uni.

En pareil cas, les autres EDAN se sentiraient rapidement obligés de venir à la table de négociations, vu que le droit international leur en fait obligation. C’est justement cette pression morale qui a conduit les Etats-Unis et la Grande-Bretagne à prendre part à la 3e conférence sur l’impact des armes nucléaires à Vienne, en décembre 2014.

Par la suite, les autres Etats nucléaires qui ne sont pas parties au TNP auront bien du mal à rester extérieurs au processus. Processus d’autant plus vertueux qu’il incite à résoudre parallèlement les motifs de conflits régionaux. Par exemple avec la création d’une Zone exempte d’armes de destruction massive au Moyen-Orient, qui a fait l’objet de multiples résolutions de l’ONU, demeurées lettre morte. Or, même sur ce point, les récents propos de Shimon Pérès à l’antenne de France Inter le 31 mars 2016, fondés sur son expérience personnelle de Premier ministre et de chef de l’Etat israélien, ouvrent un réel espoir : « tout est possible dans l’histoire », dit-il, « même le meilleur », même l’inespéré.

Il n’est en outre même pas nécessaire que deux EDAN s’entendent pour convoquer des négociations. L’obligation de réunion apparaîtra dès l’instant où l’un quelconque des EDAN dira aux autres : « Je veux négocier avec vous l’abolition des armes nucléaires, conformément à l’article 6 du TNP et à l’Avis consultatif de la Cour Internationale de Justice du 8 juillet 1996 qui nous en font obligation. Je vous propose de nous réunir le …. à….. ».

Aucun des EDAN n’a jamais fait cette démarche depuis l’entrée en vigueur du TNP en 1970. Il faut donc que l’un d’eux s’y décide. Pourquoi pas la France ?

On peut ajouter que :

1°) si, pour quelque raison que ce soit, la proposition de loi n’aboutissait pas à la tenue effective d’un référendum, elle permettrait néanmoins d’ouvrir le débat national sur les armes nucléaires, qui a fait jusqu’à présent cruellement défaut ;

2°) si le référendum avait lieu mais recueillait une majorité de non, cela ne changerait rien à la politique nucléaire de la France, qui s’est poursuivie depuis des décennies sans tenir le moindre compte de la volonté populaire et qui continuera à se poursuivre si un référendum ne vient pas l’en empêcher ; il n’y a donc rien ou pas grand-chose à perdre à vouloir ce référendum, et tout à y gagner ;

3°) si le référendum imposait enfin à la France et aux autres Etats nucléaires d’entreprendre des négociations sur l’abolition des armes nucléaires et si celles-ci devaient néanmoins échouer par la faute dûment établie des autres Etats nucléaires ou de certains d’entre eux, la France pourrait toujours se poser la question de son désarmement unilatéral - quitte à en faire l’objet d’un second référendum. Et quand bien même elle ne le ferait pas… elle ne ferait jamais que poursuivre sa vieille politique. A nouveau on retombe sur ce constat : il n’y a rien à perdre à emprunter la voie du référendum. Mais tout à y gagner : une chance de changer la politique des Etats nucléaires, à commencer par celle de la France.

Rompant avec l’immobilisme, c’est cette démarche que les députés français favorables à l’abolition des armes nucléaires ont voulu amorcer avec leur Proposition de Loi Référendaire, pour les motifs évoqués dans leurs courriels du 8 et du 11 mars et leur lettre du 22 mars 2016 à leurs collègues parlementaires.

ACDN, pour sa part, soutient avec la plus grande énergie cette démarche, qu’elle appelle de ses vœux depuis sa fondation en 1996. La terreur d’Etat nucléaire, la menace de crime contre l’humanité érigée en ligne Maginot, notre destin joué à la roulette russe, ça suffit !

Pour ACDN
Jean-Marie Matagne, Président

Action des Citoyens pour le Désarmement Nucléaire (ACDN)
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