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Comité préparatoire à la Conférence de révision du TNP, Genève, 26 avril 2013 Abolition nucléaire : le temps de l’audace est venu A propos d’une grève de la faim de 42 jours pour l’abolition des armes nucléaires Publié le 7 mai 2013 On trouvera ci-dessous le texte français d’une intervention faite en anglais le 26 avril 2013 à Genève, dans le cadre d’un événement organisé par Nuclear Age Peace Foundation et Soka Gakkai International sous le titre "Nuclear Abolition : A Time for Boldness and Hope" ("Abolition nucléaire : le temps de l’audace et de l’espoir") pendant la réunion du Comité préparatoire à la Conférence de révision du Traité de Non Prolifération. Mesdames, Messieurs, Chers amis, Tout d’abord, merci de votre présence ici, en ce 27e anniversaire du début de la catastrophe de Tchernobyl. Ensemble nous honorons la mémoire de ses victimes, comme celle des victimes d’Hiroshima, de Nagasaki et de Fukushima. Je remercie David Krieger et Rick Wayman de m’avoir invité à cette table ronde et de provoquer notre réflexion sur un sujet à la fois insolite et stimulant : le sujet de l’audace est lui-même un sujet audacieux. Lorsque David m’a offert de prendre la parole devant vous sur ce thème, j’ai pensé qu’il faisait allusion aux mots de Kissinger, Nunn, Shultz et Perry dans le Wall Street Journal de janvier 2007. Ils réclamaient, je cite, « une initiative audacieuse, conforme à l’héritage moral de l’Amérique », c’est-à-dire une initiative pour aller, par des mesures concrètes, vers un monde libéré des armes nucléaires. J’ai néanmoins été très surpris. Je lui ai demandé : « Ah bon ? Pourquoi moi ? ». Il m’a répondu : « Parce que ta grève de la faim était une action audacieuse ». Cette réponse n’a fait qu’accroître ma perplexité. Permettez-moi donc de vous soumettre les réflexions issues de cet étonnement et, comme David me l’a demandé, de partir de cette grève de la faim pour soulever une ou deux questions plus générales auxquelles j’essaierai de répondre sans prétendre les trancher. Je me référerai donc à ma propre expérience pour tenter d’en tirer des leçons utiles à d’autres car, comme le disait Hannah Arendt, c’est dans le particulier que l’universel se donne à lire. Premièrement, donc, ma grève de la faim était-elle vraiment un acte audacieux ? Qu’est-ce donc qui définit l’audace d’un acte ou d’une personne ? Notons d’abord que le qualificatif « audacieux » est souvent utilisé dans le domaine militaire, dans celui des jeux, aux échecs par exemple, et d’une façon générale quand il y a compétition, par exemple à propos du choix d’une route nautique dans une course à la voile ("une option audacieuse"). L’audace est souvent synonyme de courage. Mais c’est une forme particulière de courage. Elle consiste, certes, à faire face à une situation difficile, pénible, redoutable, voire désespérée, mais pas seulement en faisant son devoir. L’audace consiste à prendre l’initiative d’un acte insolite, imprévisible et imprévu. L’audacieux ne se contente donc pas, comme le courageux « ordinaire », de résister au cours de l’histoire, il tente de le renverser. Il prend des risques, il cherche à surmonter l’adversité en surprenant l’adversaire. Et souvent il y parvient, quoique la réussite ne soit jamais garantie - sinon il n’y aurait pas de risque. Cependant, les risques que prend l’audacieux peuvent être considérables, ils restent néanmoins raisonnés, calculés. L’audace n’est ni folie, ni même témérité. Il arrive aussi que l’audacieux prenne ses décisions très vite, il n’en garde pas moins la tête froide. Son action est proportionnée à l’objectif visé, et c’est ce qui lui donne une chance sérieuse de réussir. Si l’on applique ces critères à ma grève de la faim, était-elle audacieuse, comme David le pense ? Réflexion faite, je crois que oui. D’abord il m’a fallu, c’est vrai, un certain courage : celui de me « jeter à l’eau », dans une eau que je ne connaissais pas, car je n’avais jamais jeûné. J’ignorais même si je réussirais à dépasser le troisième jour, dont plusieurs jeûneurs m’avaient fait un portrait effrayant. Et je me souviens encore de la minute terrible où je me suis « jeté à l’eau » en cliquant sur un communiqué de presse. J’en subis encore les effets dans ma vie de famille. C’est douloureux, bien plus que ne le fut le jeûne lui-même. C’était aussi une action entreprise « en désespoir de cause ». ACDN depuis sa fondation en 1996, et moi-même depuis 1986, avions tout tenté pour impliquer la France dans l’abolition des armes nucléaires. Inutile de détailler toutes les actions militantes que nous avons faites. Je citerai simplement quelques actions "audacieuses", comme ma candidature à la présidence de la République en 2002, ou encore mes recours au Conseil constitutionnel, lui demandant d’invalider les candidatures de MM. Chirac et Jospin en 2002, Hollande et Sarkozy en 2012, pour "préparation de crime contre l’humanité, non-respect de l’article 6 du TNP, non-respect de la Constitution française". Pendant la campagne présidentielle de 2012, nous avions écrit 7 ou 8 fois à François Hollande, sans jamais obtenir de réponse. Toutefois, il nous avait indirectement répondu, en décembre 2011 dans une tribune du Nouvel Observateur, qu’il poursuivrait la politique de dissuasion nucléaire, une prérogative présidentielle qu’il entendait "assumer pleinement". En d’autres termes, l’humaniste, le socialiste qu’il était, se déclarait capable d’appuyer sur le bouton nucléaire ! C’était inacceptable. Le 15 mai, jour où François Hollande accédait au pouvoir -au bouton nucléaire-, je suis entré en grève. Au demeurant, l’objectif de cette grève était raisonnable et accessible : il ne s’agissait pas d’exiger l’abolition des armes nucléaires, mais juste d’obtenir un rendez-vous avec le nouveau président pour lui exposer nos arguments et lui demander d’organiser, par souci de démocratie, le référendum qui permettrait enfin au peuple français d’exprimer son avis, et peut-être à lui-même de changer de politique sans perdre la face ni renier ses engagements. Le 25 juin, au 42e jour de ma grève, Luc Dazy - un ami qui m’avait rejoint dans la grève le 1er juin - et moi-même, avons été refoulés par la police alors que nous devions être reçus à l’Elysée. Impossible de savoir pourquoi. Même la députée socialiste de ma circonscription qui lui avait remis en mains propres l’une de mes lettres et a signé depuis la "Lettre ouverte au Président", n’a jamais réussi à le savoir. Faut-il en conclure que cette action "audacieuse" était vouée à l’échec ? Franchement, je ne crois pas. Car notre grève n’a pas été inutile. Le 24 juin, le Conseil fédéral du parti Europe Ecologie- Les Verts, dont j’avais été membre précédemment, m’avait fait un accueil vibrant (ovation debout de 150 personnes ou plus, une minute d’applaudissements). Sur proposition de son président et de son bureau, le Conseil Fédéral avait rendu hommage à mon action, déclaré assumer notre combat et s’engager à le porter. Il souhaitait que Luc Dazy et moi-même puissions arrêter notre grève de la faim et que le président de la République entende nos demandes, dont il se déclarait solidaire. Après un débat solennel, le Conseil Fédéral décida, à l’unanimité moins une abstention, de demander - je cite - « à l’ensemble de ses représentants au parlement et au gouvernement de tout mettre en oeuvre pour que soit mis à l’étude dans un délai rapproché un projet de loi ou une proposition de loi portant organisation d’un large débat et d’un référendum sur la question suivante : Précédemment, en octobre 2011, ACDN et six autres organisations nationales travaillant dans d’autres domaines, comme ATTAC, la Confédération paysanne ou la Ligue des Droits de l’Homme, avaient organisé un grand rassemblement à Saintes. Trois cents personnes y avaient pris part et environ 150 d’entre elles avaient rédigé et discuté une "Charte pour un Monde Vivable" qui fut définitivement adoptée par consensus. Peu après, pendant la campagne électorale, nous avons proposé à chaque candidat de signer cette Charte. François Hollande n’a jamais répondu, mais six autres candidats l‘ont fait et trois d’entre eux, présents au premier tour de l’élection, ont expressément approuvé, parmi 103 articles, l’article 1.2.F. Par cette approbation, Eva Joly (EELV), Philippe Poutou (Nouveau Parti Anticapitaliste) et Jean-Luc Mélenchon (Parti de Gauche), se sont engagés, s’ils étaient élus, à consulter les Français par référendum sur la question citée ci-dessus. Au total, ces trois candidats ont obtenu près de 15 % des voix. Actuellement, les Verts comptent 45 parlementaires (sénateurs et députés nationaux ou européens) et deux ministres au sein du gouvernement. Si chacun d’eux reprenait l’engagement de leur propre parti, on peut penser que le peuple français ne serait pas loin de décider par lui-même s’il doit cesser ou poursuivre la politique archaïque et criminelle décidée en son nom par une poignée de dirigeants schizophréniques. D’après deux sondages différents, l’un commandé par Global Zero en 2008, le second par le Mouvement de la Paix en 2012, plus de 80 % des Français souhaitent un monde sans armes nucléaires, y compris françaises. Donc, même si un référendum n’est jamais gagné par avance, même si nos adversaires sont très forts dans l’art de manipuler l’opinion et les médias, je pense que nous devons aller au référendum sur une question aussi importante, déterminante et vitale. Si nous perdions le référendum, nous ne perdrions rien, puisque depuis plus de 60 ans, la politique française a été conduite dans la même direction sans le moindre débat démocratique ni le moindre vote. Une défaite du camp abolitionniste n’aurait d’autre effet que la continuation d’une politique déjà planifiée. En revanche, une victoire entraînerait un changement complet, un renversement de situation. Rappelons-nous la phrase de Lénine : « Quand une idée s’empare des masses, elle devient une force historique ». Nous devons prendre ce risque, ou bien admettre que nous ne sommes que des moutons, destinés à l’abattoir. Personnellement, je suis convaincu que les Français ne sont ni plus ni moins intelligents que les autres peuples, mais que, très probablement, ils ont davantage de bon sens que la plupart de leurs dirigeants politiques, et sont parfaitement capables de décider eux-mêmes des questions les plus importantes. Cette idée démocratique est-elle une idée trop audacieuse ? Dans ce cas, je veux bien être tenu pour quelqu’un d’audacieux. Amis étrangers, je vous remercie d’être nombreux à soutenir la Lettre ouverte au Président de la République Française. Si vous ne l’avez pas déjà fait, merci de la signer maintenant. Avant de conclure, j’aimerais poser une deuxième question et y répondre brièvement : si cette grève de la faim fut réellement « audacieuse », comment se fait-il qu’un citoyen américain, figure éminente du mouvement abolitionniste international, lui ait accordé de l’importance, alors qu’en France les journaux et les médias nationaux, à de rares exceptions près, ne l’ont même pas mentionnée ? Ce paradoxe appelle des explications. Lorsqu’un événement quelconque échappe à l’attention de la plupart des gens, y compris d’observateurs professionnels censés en rendre compte, comme c’est le cas des journalistes, sans doute faut-il que ceux qui le remarquent soient à l’affût de tout ce qui risque de concerner un sujet auquel ils sont déjà sensibilisés. Ainsi, David se bat depuis des lustres pour l’abolition des armes nucléaires et se heurte comme nous tous à une sorte de mur. Il est donc à l’affût de tout ce qui pourrait y ouvrir une brèche. De même, c’est parce que je m’intéressais aux relations internationales et à l’histoire de la Russie que j’ai entendu en janvier 1986, au moment même où il le lançait, l’appel de Mikhaïl Gorbatchev, pour le moins inattendu et audacieux, qui a ensuite bouleversé ma vie : « Plus aucune arme nucléaire d’ici l’an 2000 ! ». La nécessaire sensibilisation préalable enferme les lanceurs d’alerte ou les militants de causes telles que la nôtre dans un cercle vicieux : ils souhaitent par leurs paroles, leurs écrits ou leurs actes, attirer l’attention du public sur un problème qui leur semble particulièrement grave, mais pour que le public leur prête sérieusement attention, il faut qu’il soit déjà sensibilisé au problème... Or, dans notre monde médiatisé, les journalistes jouent un rôle essentiel pour l’information et la sensibilisation du public. C’est donc leur attention qu’il faut commencer par obtenir, et puisque les médias sont friands de sensationnel, c’est ici que l’audace pourrait jouer un certain rôle. Mais cela ne suffit pas. Ainsi, notre grève de la faim a été très bien couverte par les journaux, les radios et la télévision de notre région, où ACDN et moi-même sommes déjà connus. Mais tel n’est pas été le cas ailleurs, et lorsque France 3 Poitou-Charentes a demandé à France 3 nationale de venir nous filmer devant l’Elysée, le sujet a été diffusé dans notre région, pas au niveau national. Pourquoi ? Ce serait trop long à expliquer, mais ce pourrait être un intéressant sujet de réflexion que de comparer les situations auxquelles nous sommes confrontés dans nos différents pays. En conclusion, permettez-moi de poser encore deux questions sans y répondre : D’abord : Qu’est-ce qui nous permet de penser que « le temps de l’audace est venu » ? Et enfin : De quel genre d’audaces devrions-nous faire preuve pour répondre aux défis du temps présent ? J’aurais plusieurs suggestions à faire sur le dernier point, dont quelques-unes pourraient peut-être vous intéresser. Mais mon temps de parole est terminé. D’une façon générale, je dirais : nous avons besoin d’exiger avec détermination notre droit à la vérité, à la liberté et à la vie. Encore merci à David et Rick de m’avoir permis de parler devant vous, pour la première et peut-être la dernière fois, dans cette arène. Merci de votre attention. Jean-Marie Matagne
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