On le redoutait ces derniers jours, c’est fait : Bruxelles approuve et subventionne le projet de centrale nucléaire EPR d’EDF en Grande-Bretagne, à Hinkley Point (sud-ouest de l’Angleterre).
En premier lieu, pour commencer par de triviales considérations financières, on notera que le coût annoncé de ce projet, 31 milliards d’Euros pour deux EPR, est dix fois supérieur à celui de 3 milliards initialement annoncé pour l’unique EPR d’Olkiluoto (Finlande). Ce qui met l’EPR à plus de 15 milliards l’unité... Pas moins. C’est sans doute un "retour d’expérience" d’Olkiluoto, dont le coût a d’ores et déjà triplé alors qu’il n’est pas achevé.
Les dépassements d’Olkiluoto sont financés pour l’essentiel par le contribuable français, via AREVA (dont l’Etat français, avec le CEA, est actionnaire à 86 %) et la COFACE, la Compagnie française d’assurance pour le commerce extérieur, chargée de garantir pour le compte de l’État les contrats d’exportation "à risques", tant civils que militaires. Car curieusement, dans cette Finlande pourtant fort éloignée des zones géopolitiques jugées "à risques" au début des années 2000, le contrat fut soumis à la garantie de la COFACE. Est-ce à dire que tout projet d’EPR est un projet risqué ? Le fait est que la suite des événements ont confirmé cette crainte.
Le contrat d’Olkiluoto a été signé fin 2003 par un consortium mené par Areva pour fournir un EPR clé en main à l’électricien finlandais Teollisuuden Voima Oy (TVO). Le chantier débute en septembre 2005. La mise en service du réacteur est prévue pour la mi 2009. Mais en 2014, le chantier n’est toujours pas terminé et l’on n’est même pas certain que le réacteur puisse commencer à fonctionner fin 2016, voire jamais. Sept ans de retard : une paille.
L’explication de ce retard est proprement abracadabrantesque, comme dirait Jacques Chirac. Qu’on en juge : "En 2006, l’agence finlandaise de la sécurité des radiations (Säteilyturvakeskus) a relevé 700 dysfonctionnements et anomalies concernant la sécurité sur le chantier de l’EPR finlandais... L’autorité de sûreté finlandaise, le STUK, parle « d’impréparation » d’Areva et de laxisme dans « la qualité du travail, …, l’organisation et le contrôle des activités sur le chantier ». En outre, le STUK indique, à propos de la construction du liner d’acier qui protège le cœur du réacteur, que les plans changent de manière intempestive, ceci ayant eu pour conséquence que certains usinages ont été effectués à partir de plans obsolètes. De plus, certaines réparations ont été faites sans respecter les procédures prévues. Le STUK dit avoir beaucoup de mal à inspecter le chantier en raison de ces changements intempestifs. Il conclut : « Une situation telle que celle-ci ne devrait pas être possible dans un système de qualité fonctionnant correctement »." (Source : Wikipédia)
Le réacteur EPR actuellement en construction à Flamanville (France) sous la houlette d’EDF subit des malfaçons, des déboires, des retards et des dépassements financiers tout à fait similaires, là encore aux frais des contribuables français et des clients d’EDF, actuels et futurs.
Si le projet britannique de Hinkley Point, conduit par EDF, rencontre les mêmes problèmes, à combien s’élèvera la facture finale, et combien coûtera-t-elle aux contribuables français et britanniques ? Il est vrai que, à partir du moment où le réacteur fonctionnera, "en cas de profits plus élevés que prévu actuellement, les gains devront être partagés avec les contribuables britanniques. Si les profits augmentent d’un point de pourcentage, cela se traduira par une économie d’environ 1,5 milliard d’euros pour les autorités britanniques". Mais il est vrai aussi que ce cas de figure est relativement peu probable, le plus probable étant que l’Etat britannique, aux frais de ses contribuables, subventionne EDF pour compenser les pertes que l’opérateur risque d’essuyer.
En second lieu, on notera que ce fonctionnement est prévu pour durer 60 ans. C’est la durée de la peine et de la menace infligées par le lobby nucléaire partout où il entend implanter un EPR (pour le moment, en France, en Finlande, en Grande-Bretagne, en Inde, en Chine...) et, par extension, à tous les pays et toutes les régions qui ont le malheur de partager la même atmosphère. Comme ce fut le cas en 1986 pour Tchernobyl (Ukraine) et la Corse - entre autres.
En France, ces soixante ans prévus pour le "premier EPR" dit "Flamanville 3" s’ajouteront aux quarante ans déjà entérinés pour les réacteurs Westinghouse actuellement en service. Un siècle et plus d’électricité nucléaire, de contamination nucléaire, de production de déchets nucléaires dont on ne sait que faire, de risques, ou plus exactement de probablité d’accidents nucléaires majeurs, telle est la perspective offerte à la France et à l’Europe par nos gouvernants nucléophiles, nos financiers et nos ingénieurs nucléocrates. Et maintenant, mais ce n’est pas vraiment une surprise, par les commissaires européens.
L’Autriche, cet Etat vertueux qui combat à la fois le nucléaire civil et le nucléaire militaire (Vienne va accueillir en décembre la 3e Conférence des Etats sur les effets "humanitaires" des armes nucléaires) et qui a même inscrit ce rejet du nucléaire dans sa constitution, a parfaitement raison de s’indigner de la décision de la Commission de Bruxelles autorisant les aides du gouvernement britannique à l’opérateur nucléaire, et de redouter que "cette autorisation relance la filière nucléaire en Europe au détriment des énergies renouvelables".
En troisième lieu, on notera que le dogme néolibéral qui sacralise la concurrence "libre et non faussée" et s’impose à l’Europe par le traité de Lisbonne est à géométrie variable. Pour justifier cette énorme entorse au principe d’interdiction des subventions d’Etat aux "énergies matures", la Commission argue du fait que "l’opérateur n’aurait pu obtenir le financement nécessaire uniquement sur les marchés, en raison de la taille et de la nature exceptionnelles du projet". Et pourquoi donc ? Parce que le nucléaire est trop risqué et non rentable, même du strict point de vue du profit capitaliste. La société britannique Centrica, qui avait pris une part de 20 % dans le projet, s’en est retirée l’an dernier en invoquant les problèmes de coûts et de délais. Et Peter Atherton, un analyste de Liberum Capital, qui avait jugé l’accord de subventions à Hinkley Point comme "économiquement insensé", maintient qu’il n’a pas changé de position après la décision de Bruxelles.
En somme, il en va de la construction des EPR au Royaume Uni comme de la construction de ses futurs sous-marins nucléaires Trident : c’est de l’argent jeté à la mer. Même s’il n’est pas perdu pour tout le monde, évidemment. Heureusement que les Etats sont là (comme l’espère EDF lorsqu’elle appelle à l’aide deux compagnies chinoises soutenues par l’Etat chinois) pour soutenir l’entreprise nucléaire.
Atome, quand tu nous tiens...
Un espoir demeure : la plainte que l’Autriche a décidé d’introduire contre cette décision de la Commission devant la Cour de Justice européenne.
Jean-Marie Matagne
(A SUIVRE)