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Russie, Cuba, USA : en finir avec l’héritage de la Guerre froide


Publié le 18 décembre 2014

« L’annonce historique » du rapprochement entre les Etats-Unis et Cuba est a priori une bonne nouvelle.

Pour autant qu’il se traduira dans les faits par des mesures concrètes, comme la levée de l’embargo américain sur le commerce avec Cuba et l’élargissement des prisonniers d’opinion et des libertés publiques par le régime cubain, il pourrait effacer au moins une partie des séquelles de la crise provoquée par l’implantation secrète de missiles soviétiques à Cuba, qui faillit précipiter le monde dans une guerre nucléaire en octobre 1962. Peut-être permettra-t-il aussi d’approcher la vérité sur cet épisode historique encore largement voué à la désinformation, et sur ses prolongements dramatiques : l’assassinat de John F. Kennedy en novembre 1963 et la destitution de Nikita S. Khrouchtchev en octobre 1964.

Une chose est sûre : nous sommes très loin d’avoir effacé les effets de la Guerre froide.

D’abord, le « réchauffement climatique » annoncé entre Cuba et les Etats-Unis s’accompagne d’un grave « refroidissement » entre la Russie, les Etats-Unis, et généralement l’Occident. Il n’y a pas qu’un embargo à lever, mais deux : contre Cuba, et contre la Russie, frappée de sanctions économiques et financières qui la poussent vers le gouffre, et le monde avec elle.

Ensuite, cette situation déplorable ne résulte pas du hasard, mais d’une attitude conflictuelle commune aux principaux acteurs. Si la responsabilité de Vladimir Poutine est lourde de par sa politique en Crimée et en Ukraine oriental, l’Occident en est au moins aussi responsable, du fait de sa politique agressive envers la Russie : trahison de l’engagement pris, lors de l’unification de l’Allemagne et de la dissolution du Pacte de Varsovie, de dissoudre l’OTAN en tant que structure militaire ; expansion de l’OTAN vers l’Est, intégrant des pays ex-membres de l’URSS ou ex-alliés du Pacte de Varsovie ; retrait unilatéral, par les Etats-Unis, du traité ABM (Anti-Ballistic Missile), qui était la pierre d’angle de « l’équilibre de la terreur » pendant la Guerre froide ; implantation aux portes de la Russie de bases du « bouclier antimissiles »... Les acteurs, à commencer par l’Occident, ont ainsi en commun d’avoir conservé l’esprit de la Guerre froide.

Enfin, les « outils » qui pourraient transformer cet esprit en actes, et la guerre froide, ou localement chaude, en guerre chaude généralisée, sont toujours là. Certes, les armes nucléaires sont moins nombreuses qu’à l’apogée de la Guerre froide, au milieu des années 1980, où on en comptait quelque 70 000. Elles ne sont plus « que » 16 300, paraît-il. Soit infiniment plus nombreuses et plus puissantes qu’en octobre 1962 (où l’URSS n’aurait pu, chose soigneusement cachée, expédier depuis son sol qu’un ou deux missiles par jour). Aujourd’hui, les 7 milliards d’humains peuvent être anéantis entre cinq et dix fois…

Qui plus est, cette situation ouvre un boulevard aux terroristes en tous genres. Car la barbarie des égorgeurs et assassins d’enfants s’inspire et s’autorise de celle des chefs d’Etat en col blanc qui menacent « l’Autre », toute population confondue, de massacres innommables.

Comment en sortir ? Par l’abolition des armes nucléaires : seul moyen de faire disparaître à la fois l’arme et l’esprit du crime contre l’humanité. Et comment l’obtenir ? En donnant la parole aux populations, dont aucune ne souhaite subir de massacres, ni d’ailleurs en commettre (désir obsessionnel d’une infime minorité de fanatiques) et qui, quasi unanimement, souhaitent vivre dans un monde sans armes nucléaires. Ainsi, en 2008, un sondage effectué dans 21 pays par l’agence WorldPublicOpinion constatait qu’en moyenne 76 % des sondés étaient favorables ou très favorables à un traité interdisant toutes les armes nucléaires. Ils étaient 86 % en France, et 81 % d’après un sondage IFOP de 2012. La plupart des 158 Etats représentés à Vienne à la 3e Conférence sur l’impact humanitaire des armes nucléaires les 8 et 9 décembre 2014 ont exprimé la même volonté.

Reste à en convaincre les gouvernements des Etats nucléaires. La France, absente de Vienne - contrairement aux Etats-Unis, à la Grande-Bretagne, à l’Inde et au Pakistan - aurait un rôle essentiel à jouer dans ce processus, pourvu que le Président et le gouvernement s’interrogent sur leur politique de « prolifération verticale » - de maintien et de modernisation de l’arme nucléaire.

L’Eglise de France, pour sa part, devrait d’abord s’inspirer du message du Pape François à Vienne, où il a formellement condamné les armes nucléaires, prôné leur abolition, et affirmé qu’« un monde sans armes nucléaires est vraiment possible ». De son attitude pratique aussi, puisqu’il appert que le rapprochement américano-cubain résulte en bonne part de son entremise, bien que ni Obama, ni Castro ne révèrent son magistère. Peut-être trouvera-t-on l’assertion exagérée, et pourtant elle est vraie : la fin de la Guerre froide dépend pour une part de l’attitude que la Conférence des évêques français devrait prendre à l’égard des armes nucléaires en général, et donc aussi, françaises.

Jean-Marie Matagne
www.adn.net
contact@acdn.net


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