Greenpeace alerte sur le « projet » de l’entreprise nucléaire étatique russe Rosatom de redémarrer les réacteurs de la centrale Zaporizhzhia, en Ukraine, qui constitue une escalade dans la menace nucléaire agitée par la Russie [1]. La Russie exposerait l’Ukraine, ses voisins européens et sa propre population à un risque majeur d’accident nucléaire. Le 6 février dernier, Greenpeace avait enjoint à l’AIEA d’empêcher Rosatom de redémarrer les réacteurs de Zaporizhzhia compte tenu des risques sans précédent en matière de sûreté nucléaire [2].
Malgré cet avertissement, le directeur général de l’AIEA Rafael Mariano Grossi a déclaré,lors de sa visite à Sotchi le 6 mars où il a rencontré le président Poutine et le directeur de Rosatom Alexeï Likhachev, qu’une « série d’évaluations de la sûreté” serait nécessaire à la remise en service de la centrale [3].
« Il n’existe aucune réglementation nucléaire dans le monde qui permette à une centrale nucléaire de fonctionner sur la ligne de front d’une zone de guerre. Si l’AIEA veut vraiment jouer son rôle de régulateur, elle doit refuser de superviser cette bombe nucléaire russe à retardement, et déclarer clairement qu’une exploitation sûre de la centrale est impossible », a déclaré Shaun Burnie, expert du nucléaire pour Greenpeace à Kiev.
Au cours des prochains mois, l’entreprise d’État russe Rosatom pourrait procéder à son propre examen de sûreté de la centrale de Zaporizhzhia, en collaboration avec l’autorité de régulation russe Rostekhnadzorto, pour conclure que l’exploitation d’un ou de plusieurs réacteurs ne présente aucun danger. Pour Greenpeace, le seul régulateur légitime de la centrale est la SNRIU, l’autorité ukrainienne, exclue du site depuis l’occupation militaire illégale de la centrale par la Russie et Rosatom ; le régulateur russe est une société détenue par Rosatom qui n’a aucune indépendance ni légitimité à intervenir en Ukraine.
Nikolaus Muelner, ingénieur nucléaire à l’université de Vienne, qui a passé des années à travailler sur des réacteurs de même conception que les réacteurs de Zaporizhzhia, a mis en garde contre ce projet :
« Le réacteur VVER-1000 de Zaporizhzhia, comme tous les réacteurs commerciaux, n’est pas conçu pour les zones de guerre. Un réacteur nucléaire nécessite de nombreux systèmes de sécurité pour garantir l’élimination de la chaleur issue de la désintégration du combustible nucléaire. Même un réacteur à l’arrêt dans une zone de guerre présente un risque majeur. Toutefois, ce risque est bien plus élevé si le réacteur est remis en service. Le temps qui s’écoule entre la défaillance des systèmes essentiels et la fusion du cœur du réacteur pouvant générer des rejets radioactifs est de plusieurs jours ou semaines pour un réacteur à l’arrêt. Ce temps, appelé « période de grâce », est réduit à quelques heures ou jours si le réacteur est en fonctionnement. Il pourrait devenir impossible de réaliser à temps les actions nécessaires pour éviter un accident ou limiter les conséquences d’un rejet radiologique en cas de défaillances » [4].
De plus, toute tentative de redémarrage des réacteurs serait confrontée à des défis sans précédent : la détérioration des réacteurs après deux ans d’arrêt avec une maintenance quasi nulle, un sous-effectif de personnel ukrainien qualifié et, surtout, la nécessité de sécuriser l’approvisionnement de centaines de milliers de tonnes d’eau par heure pour assurer le refroidissement de chaque réacteur en fonctionnement [5]. En juin 2023, les forces armées russes avaient détruit la principale source d’eau de la centrale nucléaire, le réservoir de Kakhovka, en le dynamitant de l’intérieur. De plus, tout nouveau système d’alimentation en eau resterait extrêmement vulnérable aux défaillances [6].
Or, toute perte de l’alimentation électrique et de la fonction de refroidissement de l’eau risquerait d’entraîner la fusion du réacteur en l’espace de quelques heures. Depuis deux ans et le début de l’invasion russe, la centrale nucléaire de Zaporizhzhia a perdu à huit reprises toute alimentation électrique hors site. Suite aux bombardements russes sur l’Ukraine il y a quelques semaines, seule une connexion au réseau externe fonctionne actuellement.
« Le rôle de l’AIEA doit être de tout faire pour empêcher un redémarrage de la centrale et de condamner sans ambiguïté toute velléité russe dans ce sens. De son côté, l’Union européenne, et la France en particulier, doivent cesser de cautionner Rosatom, le bras armé électronucléaire de Poutine, en inscrivant Rosatom et l’ensemble des entités nucléaires de la Russie sur la liste des entreprises visées par les sanctions européennes. L’instrumentalisation d’une centrale nucléaire civile à des fins militaires démontre une nouvelle fois la dangerosité de l’énergie nucléaire, extrêmement vulnérable à la situation géopolitique mondiale », déclare Pauline Boyer, chargée de campagne Nucléaire pour Greenpeace France.
Notes
[1] Rosatom pourrait essayer de redémarrer les réacteurs de Zaporizhzhia d’ici décembre de cette année, date du 40e anniversaire de la mise en service de l’unité 1 de la centrale.
Source : Rosatom, La veille du nouvel an, Sergei Kiriyenko et Dmitry Rogozin ont visité la centrale de Zaporizhia et la ville d’Energodar, Lettre d’information du 29 décembre 2023, voir : https://znpp.ru/novosti/detail.php?ELEMENT_ID=9863
[2] Greenpeace calls on IAEA Director General to warn Rosatom : No restart of Zaporizhzhia nuclear plant !
https://www.greenreconstruction.com/news/greenpeace-calls-on-iaea-director-general-to-warn-rosatom-no-restart-of-zaporizhzhia-nuclear-plant –
[3] afp -6 mars 2024, L’Agence internationale de l’énergie atomique met en garde la Russie contre le redémarrage de la centrale nucléaire de Zaporizhia
https://de.nachrichten.yahoo.com/internationale-atombeh%C3%B6rde-warnt-russland-wiederhochfahren-123438054.html
[4] Le Dr Muelner (nikolaus.muellner@boku.ac.at) a travaillé pendant trois ans sur la centrale nucléaire de Balakovo en Russie, dans le cadre du programme TACIS de l’UE, avec le constructeur nucléaire russe Gidropress, l’Institut Kurchatov et le Centre de recherche et d’ingénierie Electrogorsk (EREC), voir
https://forschung.boku.ac.at/en/researcher/D18BF93C78D3E063.
[5] Note de Greenpeace : Rosatom prévoit-elle de redémarrer le(s) réacteur(s) de Zaporizhzhia ? La violation continue par la Russie des cinq principes de sûreté et de sécurité de l’AIEA, Shaun Burnie et Jan Vande Putte, Ukraine Green Reconstruction Project, Greenpeace Central and Eastern Europe 3 février 2024
https://www.greenreconstruction.com/news/greenpeace-calls-on-iaea-director-general-to-warn-rosatom-no-restart-of-zaporizhzhia-nuclear-plant
[6] Deuxième anniversaire de l’attaque de la centrale nucléaire russe en Ukraine : Greenpeace met en garde contre l’escalade du chantage nucléaire russe si les réacteurs de Zaporizhzhia sont redémarrés, le 5 mars 2024
https://www.greenreconstruction.com/news/second-anniversary-of-russias-nuclear-plant-attack-in-ukraine
Pour mémo, bien que le dernier des six réacteurs de Zaporizhzhia ait été arrêté en septembre 2022, les centaines de tonnes de combustible nucléaire usé hautement radioactif stockées sur le site nécessitent aussi un refroidissement constant et représentent toujours un risque majeur.
SNRIU : State Nuclear Regulatory Institute of Ukraine