Comment traduire en français le mot anglais "step" ? C’est soit un pas que l’on fait, soit une marche d’escalier. Polysémie du mot anglais, tantôt désignant le mouvement de la jambe et du pied, tantôt le plan immobile sur lequel le pied prend appui, quand son mouvement devient ascensionnel (par l’escalier, sans ascenseur). Mais ne reprochons pas ses ambiguités à la perfide Albion. La France "cartésienne" ou réputée telle (hélas) ne fait pas mieux : la marche dont on vient de parler désigne certes le degré fixe d’un escalier, mais aussi le mouvement du corps tout entier qui se transporte en avant... Finalement, dans chacune des langues, on semble admettre que le mouvement, du moins quand il s’agit du corps humain, prend nécessairement appui sur quelque chose. Et ce quelque chose marque une étape - autre façon possible de traduire le mot "step", en fonction du contexte.
Remarquons au passage que le mot "étape" porte en lui la même ambiguïté, puisqu’il peut désigner soit un déplacement parcouru d’une seule traite, par exemple en une journée, soit le lieu où l’on s’arrête au terme du déplacement, pour le reprendre ensuite lors d’une nouvelle étape (mobile) vers la prochaine étape (immobile). On devine ce qui explique toutes ces ambiguités : la terrible dialectique du temps et du mouvement -que nous laisserons de côté pour le moment.
Quoi qu’il en soit donc, fixe ou mobile, la première étape, pour un esprit français, précède la seconde, qui précède la troisième. Même quand on "brûle les étapes" : dans ce cas, si on ne s’arrête pas aux étapes (fixes) normalement prévues, on passe tout de même par elles, et on a beau accélérer le mouvement au point de n’en faire qu’un seul quand il en faudrait trois (par exemple), il n’empêche que cet unique mouvement en enchaîne plusieurs dans un ordre défini. Impossible de parcourir la distance (c’est-à-dire l’étape spatiale ) de ce qui aurait dû être la troisième étape (temporelle) avant d’avoir parcouru la seconde et, d’abord, la première. Une étape succède toujours à une autre.
Les francophones avancent étape par étape , même quand ils mettent "la charrue avant les boeufs" (dans ce cas, ils n’avancent plus, la charrue ayant du mal à tirer les boeufs ; mais pour s’immobilliser aussi bêtement, il leur a d’abord fallu déplacer les bovidés...). Ils peuvent même, dans un accès de prudence, avancer pas à pas. Les anglophones aussi : step by step. Sauf quand il s’agit du TNP. Alors là, rien de va plus. On voit proliférer les "steps" en tous genres. Il y en avait treize dans la dernière version du TNP, celle qui reste officiellement en vigueur jusqu’à la prochaine Conférence de révision de mai 2005 (la VIIe... et dernière ?). Treize "steps", treize "étapes" que les puissances nucléaires ont tellement peu franchies qu’il faut bien le reconnaître : elles ne sont pas dans l’escalier. Elles en empruntent un autre. Il y a maintenant sept autres "steps" : celles que vient de proposer le directeur de l’AIEA, Mohamed El Baradei, pour sauver le TNP, et si possible le monde. Et si possible l’industrie nucléaire. Qu’on se rassure : ce ne sont pas les seules "steps" qu’on nous propose.
(A SUIVRE)
Jean-Marie Matagne