Pour les survivants (s’il y en a), le samedi 6 septembre 2008 sera à marquer d’une pierre noire sur la route qui conduit l’humanité à la catastrophe nucléaire.
Ce jour-là, les 45 Etats qui composent le Groupe des Fournisseurs Nucléaires (GFN) ont fini par approuver, quelques-uns à la suite de pressions incroyables, l’accord passé en juillet 2005 par le président George W. Bush avec le premier ministre indien Manmohan Singh, accord visant à légaliser le commerce nucléaire avec l’Inde.
Le GFN avait été créé en 1974 (d’abord sous le nom de « club de Londres ») précisément en réaction au premier essai nucléaire de l’Inde, pour éviter de lui fournir, ainsi qu’à d’autres pays « proliférants », tout matériau ou composant pouvant alimenter un arsenal nucléaire.
L’Inde a attendu le printemps 1998 pour reprendre ses essais nucléaires souterrains... avec les encouragements de Jacques Chirac, selon un éminent témoin indien cité par le Washington Post du 2.09.08. Le Pakistan lui a presque aussitôt emboîté le pas, et les deux pays ont failli se livrer une guerre nucléaire en 2003 à propos du Cachemire.
Aujourd’hui, l’Inde est « blanchie » d’avoir « proliféré ». Elle obtient un statut exorbitant. Elle va pouvoir poursuivre librement un commerce nucléaire avec le reste du monde, acheter (notamment à la France) la technologie de nouvelles centrales et se l’approprier. Mais aussi acheter de l’uranium, par exemple à l’Australie, au Canada ou à la France, comme combustible pour ses centrales électronucléaires, ce qui lui permettra de consacrer sans le moindre contrôle son propre uranium à la fabrication de nouvelles armes nucléaires. Pour ce faire, elle n’aura besoin ni de renoncer aux armes qu’elle possède déjà, ni de s’y engager comme l’ont fait les 5 puissances nucléaires signataires du Traité de Non Prolifération (TNP). Ses installations militaires échapperont aussi aux contrôles de l’Agence Internationale de l’Energie Nucléaire (AIEA), qui inspecte celles des Etats non nucléaires membres du TNP.
Le TNP instaurait deux catégories d’Etats : ceux reconnus de jure comme ayant des armes nucléaires (Etats-Unis, Russie, Grande-Bretagne, France, Chine), que le traité soumettait à l’obligation (jamais mise en œuvre depuis son entrée en vigueur en 1970...) de les abolir, et ceux qui n’ont pas de telles armes et sont soumis à l’interdiction (respectée jusqu’à présent, sauf par la Corée du nord) de s’en procurer. Il existait une troisième catégorie d’Etats : ceux n’ayant pas signé le TNP mais dotés de facto d’armes nucléaires (Israël, Inde, Pakistan). Les deux derniers étaient soumis à un embargo nucléaire (Israël restant quant à lui dans l’ambiguïté). L’accord indo-américain et son approbation par le Groupe des Fournisseurs Nucléaires créent, pour le moment au seul bénéfice de l’Inde, un quatrième statut : celui d’Etat nucléaire de facto, non signataire du TNP, mais reconnu de jure comme « bon » proliférateur et exempté pour cette seule raison de toute obligation de désarmement.
Ce statut constitue une « prime à la prolifération ». Il ne peut qu’inciter certains Etats non nucléaires à s’affranchir clandestinement -comme l’a fait la Corée du Nord- des contraintes du TNP, ou à sortir de ce traité dans l’espoir d’obtenir un jour le même statut que l’Inde.
Par avidité mercantile, les fournisseurs nucléaires sabotent les bases mêmes du TNP, dont la prochaine conférence d’examen en 2010 risque fort de dresser l’acte de décès. Les Etats-Unis et la France auront joué dans ce sabotage un rôle actif particulièrement lamentable.