Abraham Serfaty était né en 1926 à Casablanca, au sein d’une famille de l’importante minorité juive du Maroc.
Dès l’âge de 18 ans, il est l’un des membres fondateurs du Parti Communiste Marocain (PCM). Au gré de diverses appartenances organisationnelles -il rompt avec le PCM à la fin des années 1960, pour animer un autre groupe se réclamant du marxisme-, il restera fidèle toute sa vie aux idéaux de l’internationalisme et de l’émancipation des travailleurs.
Au Maroc, Serfaty , qui est ingénieur de formation, commence par mettre ses compétences au service du jeune Maroc indépendant, à partir de 1956, et participe aux tentatives pour doter le pays d’une indépendance économique, dans le secteur des mines.
Peine perdue : le Maroc royal, surtout après l’avènement de Hassan II (1961), se révèle rapidement comme l’exemple type du néo-colonialisme, doublé d’une dictature de fer, dure aux pauvres, douce aux corrompus du système.
L’opposition d’Abraham Serfaty et de ses camarades du groupe Ila al Amam (En avant !) va grandissant, la répression aussi. Arrêté une première fois en 1972 et sauvagement torturé, Abraham l’est à nouveau en 1974, avant d’être condamné à la prison à vie pour « complot contre la sûreté de l’Etat ».
Il restera en prison jusqu’en 1991, lorsqu’après une intense campagne de solidarité internationale en sa faveur, le roi consent à le libérer, puis à l’expulser aussitôt de son propre pays. Abraham Serfaty ne retrouvera finalement le Maroc en homme libre qu’en l’an 2000.
Sans surprise, Serfaty s’était préoccupé très tôt de la question de Palestine. Il appartenait aux rares membres de la communauté juive du Maroc à avoir à la fois su, et pu, résister à la formidable entreprise de déracinement des Marocains Juifs conduite, conjointement, par les gouvernements israélien et marocain, avec le soutien logistique du gouvernement français, entre 1955 et 1961.
Tandis que le royaume marocain laissait se développer dans le pays des flambées de xénophobie teintées d’antisémitisme, le Mossad, à l’affût d’une main d’œuvre captive et bon marché, organisait une vaste opération d’émigration vers Israël, y transférant plus de 200.000 Marocains juifs en l’espace de quelques années.
Traités par les dirigeants israéliens « comme des Arabes », ce qu’au demeurant ils étaient, nombreux sont encore aujourd’hui les Israéliens d’origine marocaine à parler de l’opération comme d’un véritable enlèvement.
C’est dire si l’engagement de Serfaty contre le sionisme et sa solidarité avec la lutte du peuple palestinien ne le devaient pas seulement à ses convictions internationalistes sur l’avenir de l’humanité, mais aussi à l’aventure coloniale dans laquelle les Juifs du Maroc furent eux-mêmes entrainés à quelques milliers de kilomètres de là.
Critique inlassable des crimes du gouvernement israélien, Serfaty était de ceux qui avaient porté plainte, au Maroc en 2006, contre Amir Peretz, ministre israélien de la défense lors de l’attaque contre le Liban, ... et toujours titulaire de la nationalité marocaine !
L’épouse de Serfaty, Christine Daure-Serfaty, a annoncé que le vieux combattant sera enterré vendredi [19 novembre] au cimetière juif de Casablanca, à côté de ses parents.
CAPJPO-EuroPalestine, le 18 novembre 2010
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Voir son Interview par Abdel Hamadan (17’ 31’’)
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Mordechai Vanunu, alors jeune enfant, a fait partie avec sa famille de ces Juifs marocains transplantés en Israël à la fin des années 50.
Pour avoir apporté en 1986 à la presse britannique les preuves de l’existence des armes nucléaires israéliennes, il a été enlevé à Rome par le Mossad, drogué, rapatrié de force en Israël, jugé à huis clos par un tribunal militaire et condamné à 18 ans de prison qu’il a effectués de 1986 à 2004, dont 11 ans et demi en cellule d’isolement. Après avoir purgé sa peine et été libéré en avril 2004, il a été de nouveau condamné à trois mois de prison ferme pour avoir parlé à des journalistes étrangers, trois mois qu’il a purgés cette année, en 2010 sans que la presse française s’en émeuve le moins du monde (sauf, peut-être, quelque part quelque entrefilet passé inaperçu).
Aujourd’hui, Mordechai Vanunu est toujours enfermé dans les frontières d’Israël.
Mordechai Vanunu est ainsi devenu un "Israélien malgré lui", comme les jeunes Alsaciens de 1940 ont été des "Malgré Eux", enrôlés de force dans l’armée allemande.
Les chancelleries du monde entier n’ont pas réussi ni même le plus souvent cherché à lui faire rendre par Israël ses droits humains les plus élémentaires, dont celui d’émigrer d’un pays dont il récuse la politique et rejette désormais la nationalité. Nos courriers répétés aux ambassadeurs d’Israël en France depuis 2002 n’ont jamais reçu la moindre réponse. Ceux que nous avons adressés aux représentants supérieurs de la France (président et ministres) pour leur demander d’intervenir auprès de leurs homologues israéliens sont restés eux aussi sans réponse.
Au Maroc, Abraham Serfaty a payé fort cher son désir de vérité et de justice. En Israël, Mordechai Vanunu continue à les payer. Il ne fait pas bon être Juif et garder sa liberté de parole dans les "démocraties" dictatoriales que soutient la belle démocratie française.
On notera aussi que le silence des journalistes et des médias français, justement soucieux de liberté de la presse et de libération lorsqu’il s’agit de leurs confrères pris en otages, ne contribue pas peu à l’étouffement de l’affaire Vanunu. Un homme puni de 18 ans de prison pour avoir communiqué des informations à des journalistes étrangers, et encore puni de 3 mois de prison en 2010 pour s’être laissé interviewer par d’autres journalistes étrangers, ça ne mérite donc pas leur intérêt ?
L’indifférence et le mutisme des organisations françaises de défense des droits de l’homme contribuent aussi à cette iniquité.
Se trouvera-t-il enfin des esprits un peu plus attentifs ou courageux pour y faire exception ?
ACDN, le 22 novembre 2010