Mesdames, Messieurs les candidats,
Vous qui souhaitez occuper l’Elysée, n’oubliez pas le bunker enfoui sous ce Palais. C’est dans ce Poste de Commandement baptisé Jupiter, que vous devrez, sauf lors d’un déplacement, vous abriter en cas de crise grave et peut-être ordonner que nos missiles atomiques foudroient à des milliers de kilomètres la population d’un Etat devenu ennemi. Alors vous entrerez dans l’histoire comme son plus grand meurtrier. Serait-ce exagéré ? Hélas, non.
« Fondamentalement dangereuses, extraordinairement coûteuses, militairement inefficaces et moralement indéfendables » : telles sont les armes nucléaires selon le général Butler (ex-chef du Strategic Air Command, chargé de les lancer sur ordre du président des Etats-Unis). La force de frappe française répond à cette définition. En voici la preuve.
Dangereuse. La plus petite de nos « têtes nucléaires » -de nos bombes atomiques- équivaut à 100 000 tonnes d’explosif conventionnel (TNT), soit 7 fois la puissance de « Little Boy », qui fit 250 000 morts à Hiroshima. En permanence, chaque Sous-marin Nucléaire Lance-Engins assurant la veille (trois de nouvelle génération) contient 16 missiles avec chacun 6 « têtes nucléaires » - 96 têtes en tout et 700 fois Hiroshima par sous-marin (il y a peu, c’était mille fois). Le missile porté par nos Mirage « vaut », quant à lui, 300 000 tonnes de TNT - 22 fois Hiroshima.
Militairement inefficace. Imaginez quel genre de « frappe chirurgicale » de telles armes peuvent opérer ! C’est pourtant ce que M. Chirac, le 19 janvier 2006 à l’Ile Longue, a appelé « une réponse ferme et adaptée de notre part » à une atteinte à nos « intérêts vitaux » - par exemple un attentat dont nos services de renseignement croiraient connaître le commanditaire, ou une menace sur nos « approvisionnements stratégiques » en uranium ou en pétrole.
Cette menace d’employer l’arme nucléaire contre un Etat qui n’en a pas est grotesque (« Attentat à Paris : 50 morts / Téhéran soupçonné et puni : 2 millions de morts »). Mais son emploi contre une puissance nucléaire est encore plus absurde. Le président Giscard d’Estaing révèle dans ses mémoires qu’il s’était secrètement résolu, en pleine guerre froide, à ne pas l’employer même en cas d’invasion : il aurait préféré l’occupation de la France -elle s’en serait relevée- à son anéantissement. C’est dire ce que vaut cette nouvelle « ligne Maginot » en termes de « dissuasion ». En espèces trébuchantes, c’est autre chose.
Extraordinairement coûteuse. La force de frappe, c’est 1500 milliards de francs (valeur 1997) dépensés de 1945 à 1998, et au moins 18 milliards d’Euros prévus de 2007 à 2012, rien que pour la recherche-développement de nouvelles armes nucléaires : 4e SNLE-NG, M51, ASMP-A, TNO, LMJ... (tels sont les sigles de notre « prolifération verticale »). On comprend que les marchands d’armes qui contrôlent les deux tiers de la presse française, aidés du lobby nucléaire, aient imposé aux médias, depuis des décennies, une censure baptisée « consensus ».
Moralement indéfendable. Au total, les 348 « têtes nucléaires » déclarées en service par la France « valent » 47 millions de tonnes de TNT et pourraient faire théoriquement un milliard de morts. « Hourra pour la France ! », s’était écrié le général de Gaulle à l’aube de cette belle aventure... La France, « patrie des droits de l’homme »... et de Tartufe : sa Constitution interdit désormais de condamner à mort un criminel, mais autorise le chef de l’Etat à exécuter sans procès des millions d’innocents ! Quitte à mettre fin à l’Histoire des hommes...
N’imitez pas les grands criminels . On se souvient encore de Néron, incendiaire de Rome, ou de Hitler. Mais une fois votre crime commis, Madame ou Monsieur le futur président, aurez-vous une postérité pour se souvenir de vous et de votre bunker ? Pas sûr. Néron n’avait pas les moyens de destruction dont vous disposerez, Hitler non plus. Aurez-vous par ailleurs l’étoffe d’un Néron ? Pas sûr non plus. On sait que vous avez la fibre sociale et le coeur sur la main. Mais entre discours humaniste et « posture dissuasive », entre les deux faces de Janus, il faut choisir. Faites-vous passer les « intérêts vitaux » de la nation avant la vie des nationaux ? Saurez-vous commettre un génocide, un crime contre l’humanité ? Telle est bien la question.
Crime contre l’humanité : le général de Gaulle, principal promoteur de la « force de frappe », l’a tacitement admis. A l’issue du Conseil des ministres du 4 mai 1962, Alain Peyrefitte, alors porte-parole du gouvernement, lui pose la question : « Des centaines de milliers de morts, des femmes, des enfants, des vieillards carbonisés en un millième de seconde, et des centaines de milliers d’autres mourant au cours des années suivantes dans des souffrances atroces, n’est-ce pas ce qu’on appelle un crime contre l’humanité ? » Que répond de Gaulle ? Rien : « Le Général lève les bras. Ce n’est pas son problème. »
Pas son problème, mais le vôtre et le nôtre. Cet Holocauste, vous en serez le presse-bouton ; nous en serons complices pour avoir permis sa préparation. Complices actifs comme concepteurs, apologistes, fabricants, agents d’exécution. Complices passifs comme électeurs et comme contribuables. Et victimes probables, par effet boomerang : le massacre appelle le massacre, immédiat (nucléaire) ou différé (biologique, chimique, radiologique ou nucléaire). Car ni le terrorisme -impossible à dissuader par de telles armes-, ni la radioactivité ne s’arrêteront à nos frontières. C’est donc maintenant qu’il faut regarder au-delà de l’Hexagone.
A l’étranger, on attend un geste de la France. Les maires de 1600 villes, dont Hiroshima et Nagasaki, des milliers d’ONG, des dizaines de Prix Nobel, des responsables aussi divers que MM. Gorbatchev, ElBaradei, Kofi Annan, Ban Ki-Moon, McNamara, Kissinger, Shultz, Perry, Nunn, ou Benoît XVI, tous ont compris que le seul moyen d’arrêter la prolifération des armes nucléaires n’est pas la « guerre préventive », comme celle d’Irak ou celle, peut-être nucléaire, que George Bush prépare contre l’Iran, mais le désarmement nucléaire universel et contrôlé qu’exige l’article VI du Traité de Non Prolifération, ratifié par la France en 1992.
Affaire urgente, affaire capitale. Donc celle du peuple entier et souverain, qui doit connaître vos intentions avant de vous élire, et faire connaître sa volonté ensuite. D’où ces questions :
1°) Voulez-vous que la France demande à tous les Etats nucléaires, signataires ou non du Traité de Non Prolifération, de négocier, adopter et mettre en œuvre au plus tard en 2010 un calendrier d’élimination de leurs arsenaux nucléaires sous un contrôle international strict et efficace, qu’elle suspende jusqu’en 2010 inclus ses programmes de nouveaux armements nucléaires et qu’elle affecte leur budget à la satisfaction de besoins sociaux, sanitaires, culturels, éducatifs, environnementaux ou humanitaires ?
2°) Vous engagez-vous, si vous êtes élu(e) à la présidence de la République, à organiser un référendum sur la question précédente, dans un délai d’un an à compter de votre élection ?
Ce grand dessein planétaire sans lequel la catastrophe nucléaire a toutes les chances de se produire, les électeurs qui souhaitent voir la France s’y associer dans le respect de la parole donnée n’ont d’autre « force de frappe » que leur bulletin de vote pour l’obtenir. N’attendez donc pas le premier tour de l’élection pour entendre leur « ultime avertissement ». Donnez-nous dès maintenant des raisons d’espérer et de voter pour vous.
Volonté solidaire de désarmer et sauver ENSEMBLE la planète ou bien paranoïa solitaire du « global killer » prêt à anéantir jusqu’à son propre peuple au nom de « la nation » : deux desseins, deux postures, deux destins. Choisissez. Pas demain, pas trop tard. MAINTENANT.
Jean-Marie Matagne, président de l’Action des Citoyens pour le Désarmement Nucléaire